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REVUE PÉDAGOGIQUE

où elle s’en écarte : il s’agit d’élever non plus deux garçons, mais deux filles. La donnée de la pièce est tout entière en ces quelques vers, que prononce Ariste, l’un des frères :

Elles sont sans parents, et notre ami leur père
Nous commit leur conduite à son heure dernière ;
Et nous chargeant tous deux ou de les épouser,
Ou, sur notre refus, un jour d’en disposer,
Sur elles, par contrat, nous sut dès leur enfance
Et de père et d’époux donner pleine puissance :
D’élever celle-là vous prîtes le souci,
Et moi je me chargeai du soin de celle-ci.

La donnée est ingénieuse, mais quelque peu romanesque ; par là Molière renouvelle le sujet qu’il emprunte. Un lien étroit et de nature toute particulière attache l’éducateur à son œuvre ; chacun d’eux travaille pour lui-même, au sens le plus précis : chacun prépare la femme qu’il se destine. La pièce de Térence, on en a fait la remarque, eût pu être appelée l’École des Pères ; celle de Molière s’appelle l’école des Maris ; c’est à eux qu’elle s’adresse ; elle pretend les instruire. La thèse est d’ordre moins général que chez Térence ; plus restreinte, elle est devenue plus piquante. S’il est déjà délicat de raisonner de l’éducation des hommes, raisonner de celle des femmes l’est bien plus encore, surtout si l’on touche ce point particulier : Quel degré de liberté sied-il de leur accorder ?

D’ailleurs, Molière savait bien qu’une comédie qui comme celle de Térence n’eût mis en scène, et encore au dernier plan, que deux personnages de femmes, ct de femmes déjà âgées, une vieille mère et une vieille nourrice, n’avait guère chance de réussite près du public français ; à ce public il faut de beaux yeux pour éclairer une pièce ; sinon, elle lui paraît maussade et sombre ; elle n’attire pas, on n’y vient pas. Or Molière est homme de théâtre ; il veut qu’on vienne à ses pièces ; il veut attirer la foule. Ainsi a-t-il été amené à remplacer Eschinus et Clésiphon par Léonor et Isabelle, auxquelles il a ajouté, pour faire la bonne mesure, Lisette la suivante. Avec ces personnages féminins s’est introduit dans la pièce, y a pris une large place un sentiment cher aux Français, sans lequel il semble que pour eux il ne puisse y avoir œuvre d’imagination, ni pièce de théâtre ni roman. Amour d’Ariste pour Léonor, décent, mesuré, raisonnable comme l’est