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LES PIÈCES PÉDAGOGIQUES DE MOLIÈRE

de célibataire se récrie, se défend ; il cède pourtant à la fin : est-ce pour nous montrer que bonté ne va pas sans quelque faiblesse ? Mais que signifient les exagérations prêtées par le poète à Déméa ? Est-ce zèle de nouveau converti ? Remarquez que le madré campagnard a été bon aux dépens d’autrui ; généreux avec l’argent, les biens et je dirai volontiers la personne de son frère. Mais lui-même va nous découvrir le fond de sa pensée : Se faire aimer, a-t-il voulu nous prouver, est-ce donc chose si malaisée ? Il suffit d’être facile, coulant, de tout permettre et de tout accorder, de dire oui à toutes les sottises et de répandre l’argent, de fermer les yeux et d’ouvrir les mains. Entendez-le, après la comédie qu’il a donnée à lui-même et aux autres, revenu à son naturel et moralisant ; il dit à son frère :

Si vous êtes charmant et bon, à les entendre,
Ce n’est pas que le train que vous menez céans
Soit conforme à la règle, au devoir, au bon sens ;
C’est qu’à toute heure on voit votre condescendance,
Vos prodigalités, votre absurde indulgence.

Et s’adressant ensuite à ses fils, à Eschinus d’abord :

Maintenant, Eschinus, si ce qui vous déplaît
C’est que coupable ou non tout désir, tout souhait
Ne trouve pas en moi quelqu’un pour y souscrire,
Faites, jetez, perdez… Je n’ai plus rien à dire.
Mais si vous préférez, jeunes, légers, ardents,
Connaissant peu la vie en vos vœux imprudents
Avoir dans vos écarts quelqu’un qui les corrige,
Un mentor, un soutien, si le besoin l’exige,
Me voici : je suis prêt. Je me consacre à vous.

Eschinus comprend ce langage et avec une déférence respectueuse s’incline devant celui qui le tient :

C’est ce que nous voulons. Vous savez mieux que nous
L’art de rendre sa vie honnête et vertueuse.

Une telle œuvre suggère bien des réflexions. Je tâcherai bientôt d’en fixer quelques-unes ; il me tarde d’arriver à la pièce de Molière.

Molière, comme Térence, nous montre deux frères qui tous deux ont une éducation à conduire et prétendent tous deux la tonduire à leur façon ; or ces façons sont très différentes ; l’un est pour le système de la douceur, l’autre pour celui de fa sévérité. Jusqu’ici la pièce française suit la pièce latine ; voici