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REVUE PÉDAGOGIQUE

sièrement, il n’a su ni voir ni prévoir ; il s’en veut à lui-même ; ses espérances les plus chères n’étaient qu’illusions, ses convictions les plus profondes qu’erreur ; n’y a-t-il pas là de quoi être découragé ? Alors se produit en lui un brusque changement qui étonnerait fort le spectateur et risquerait de le dérouter si lui-même ne prenait soin de le lui expliquer dans un monologue : le passage mérite d’ailleurs qu’on le cite ; il est d’un accent qui touche :

Voyez mon frère et moi, comparez-nous ensemble :
Lui, repos et plaisir, bonne chère et ben vin,
Accueil toujours aimable et front toujours serein !
Il sourit à chacun, il ne blesse personne ;
Égoïste, il s’est fait la vie heureuse et bonne.
Alors on le bénit, on l’aime à qui mieux mieux. —
Et moi, franc campagnard, bourru, peu gracieux,
Rangé, rébarbatif, et ne déboursant guère,
J’ai voulu prendre femme… Hélas ! quelle misère !
Puis vinrent les enfants : autres soucis ! J’ai fait
Pour grossir leur avoir tout ce qui se pouvait ;
J’ai broyé mes beaux jours et ma vie à la peine.
Le pi41 dans le tombeau, qu’en obtiens-je ? La haine.
Lui, sans le moindre mal, il goûte en liberté
Tous les bonheurs d’un père et ne l’a pas été.
On l’adore — on m’exècre. — On lui dit tout, on l’aime,
Ils sont fourrés chez lui plutôt que chez moi-même.
— Moi ? c’est à qui me fuit. — Ils demandent aux dieux
Qu’il vive ; — et mon trépas sans doute est dans leurs vœux ;
Tant il a su sans frais gagner et me soustraire
Ces enfants à grand’peine élevés par leur père !
Il a toute la joie, — et moi, tout le chagrin.
Eh bien ! essayons-en et changeons de refrain.
Le défi m’est porté ! Soit. Luttons de mérite :
J’aurai le ton bénin, bénigne la conduite ;
Je me ferai compter et caresser aussi,
S’il ne faut que donner et flatter : me voici !
J’entends et je pretends être en première ligne.

Et comme il dit, il fait ; il se montre plus porté à donner et à pardonner que l’excellent Micion lui-même ; il le presse, il l’aiguillonne. Ce n’est pas assez d’ouvrir la porte à celle que pour réparer sa faute Eschinus épouse : il conseille pour la recevoir d’abattre un pan de mur ; il l’ordonne. À Syrus, esclave de son frère, un fieffé coquin qui s’est moqué de lui, il veut que son frère donne la liberté ; à un autre qu’il donne un champ. Il a soif du bonheur de tous ; il veut pour bien faire que Micion épouse la mère de l’épousée d’Eschinus, une vieille femme ; Micion