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LES PIÈCES PÉDAGOGIQUES DE MOLIÈRE

méa le rustique a le parler rude, le ton chagrin, la critique acerbe. Micion le citadin riposte presque gaiement ; il a les formes polies, aimables ; il expose complaisamment une morale facile et qui sent par trop la grande ville. Eschinus s’amuse ; où est le grand mal ? n’est-ce pas de son âge ? Il a besoin d’argent : Dieu merci, nous pouvons lui en fournir. Aimez-vous mieux qu’il attende

Que quelque maladie
Enfin dans l’autre monde un jour vous expédie,
Pour goûter ces plaisirs par vous trop défendus ?

Déméa s’indigne : on perd son fils ! Micion rappelle le contrat intervenu entre eux et le droit qu’il a d’élever à sa guise l’enfant dont il a pris la charge. Déméa s’éloigne en grondant : une consolation du moins lui reste, son autre fils, Ctésiphon, son élève, son ouvrage, dont il s’applaudit, dont il est fier,

Un vertueux jeune homme,
Qui se tient à son champ, rangé, sobre, économe.

Qu’arrive-t-il cependant (je dois ne hâter) de ces deux frères qui reçoivent une éducation si différente ? L’un et l’autre commettent en secret de grosses fautes. Micion ressent bien d’abord quelque chagrin à voir que son enfant a une fois manqué de franchise envers lui, mais il se remet vite ; c’est vraiment une âme bonne, tendre et généreuse que celle de Micion, et plus honnête que ne le feraient croire certaines de ses maximes mondaines ; il aide Eschinus à lui avouer sa faute ; il l’aide à la réparer ; il le redresse, il le relève, si bien que celui-ci confus, repentant, attendri se jette dans ses bras, et, resté seul, s’écrie avec émotion :

Et quand il a tant fait pour moi, pour mon bonheur,
Je ne l’aimerais pas ! Et mon ingrat de cœur
Ne le chérira pas de tendresse profonde !
Ah ! si ! Tant de bonté veut que l’on y réponde.
Je sais, j’éviterai ce qui peut l’affliger :
Je suis trop étourdi, je veux me corriger.

Déméa prend moins bien sa déconvenue ; le coup est rude, il faut l’avouer ; il avait tant de confiance en ce fils et pour tout dire en la manière dont il l’avait élevé, en ses propres lumières ; à la blessure de l’amour paternel s’ajoute une autre blessure, cuisante aussi, celle de l’amour-propre ; il s’est trompé gros-