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REVUE PÉDAGOGIQUE

les soucis, les lourdes responsabilités de la famille ; son âme s’y est comme contractée, son front assombri ; la vie lui paraît chose rude à laquelle on ne saurait se préparer trop rudement : il est en éducation pour la sévérité. Micion depuis longtemps réside à la ville ; il en a pris les mœurs plus douces ; d’ailleurs la fortune lui a souri ; ses affaires ont prospéré ; il a l’aisance ; il a l’indépendance ; il est heureux ; il veut qu’on soit heureux autour de lui : il est en éducation pour la douceur. Une chose avait manqué à ce célibataire et par là même il en sentait tout le prix, une affection ; il s’était efforcé de gagner celle de l’enfant qu’il avait reçu dans sa demeure ; il tâche de la conserver. Ce que les fils cachent d’ordinaire à leur père, il veut, dit-il, qu’Eschinus le lui conte :

Car mentir et tromper son père, étant enfant,
C’est s’apprendre à tromper tout le monde, étant grand.
Oui, par les sentiments je prétends le conduire
Et jamais par la peur qui ne peut y suffire.

Micion ne se contente pas de dire : Ainsi j’ai fait ; il ajoute : Ainsi il faut faire. Il raisonne sa propre pratique ; il l’érige en théorie : il a un système ; il l’oppose à celui de son frère qu’il combat.

Tant de rigidité n’est pas dans la nature,
Et c’est, croyez-le Lien, une grossière erreur
De se mettre en l’esprit qu’imposé par la peur
Un empire est plus sûr et plus inébranlable
Qu’accepté, cimenté par l’amour véritable,
Aussi moi je me dis en mon raisonnement :
Celui qui ne fait bien que sous le châtiment
Peut feindre un jour ou deux, s’il est certain d’avance
Qu’il ne peut d’un argus tromper la surveillance ;
Mais, s’il croit échapper, le naturel alors
Revient, et de plus belle il reprend son essor.
L’enfant que la douceur vous attache au contraire,
Fait le bien par amour, veut répondre à son père,
Près, loin, toujours le même et toujours innocent.
Enfin il faut qu’un père accoutume un enfant
À n’avoir que son cœur pour conseiller au monde,
Non les cris du premier qui menace et qui gronde.
Père et tyran font deux : il faut le voir, ou bien
Dire qu’à gouverner l’enfance on n’entend rien.

La scène suivante met les deux frères en présence, c’est-à-dire aux prises ; les différences s’accusent de plus en plus, différences entre les personnes, différences entre leurs idées. Dé-