Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1884.djvu/137

Cette page n’a pas encore été corrigée
127
LES PIÈCES PÉDAGOGIQUES DE MOLIÈRE

comme le monde ou pour mieux dire comme l’humanité, qui n’en peut guère en effet débattre de plus intéressantes.

Je n’ai point l’intention d’étudier longuement ici l’œuvre latine ; ce ne serait pas le lieu : j’ajoute que plus d’un détail paraîtrait étrange, choquant ; autres temps, autres mœurs, a-t-on dit, et il y a loin de nous à la Rome antique. Molière n’a d’ailleurs rien pris de ces détails. Ne nous attachons donc qu’aux traits principaux, les seuls dont nous ayons besoin pour le dessein que nous nous proposons. Écoutez d’abord ce début ; mieux que de longues explications il nous fera connaître la donnée de la pièce. C’est le matin ; Micion se promène de long en large devant sa maison, attendant son fils — entendez son fils adoptif — qui n’est pas rentré de la nuit.

Quels tourments sont les miens ! Le froid l’a pris sans doute,
Ou bien il est tombé, blessé, mort sur la route.
Faut-il que l’on s’attache et mette sous son toit
Un être qu’on chérisse autant et plus que soi !
Car sachez qu’après tout je ne suis pas son père :
Je suis l’oncle ; son père est Déméa, mon frère,
Un bourru dont les goûts, — et quels goûts que les siens !
Sont depuis le berceau tout l’opposé des miens.
Moi, je me suis créé bonnement, à la ville,
L’existence qu’on voit, douce, heureuse et tranquille,
Et, ce que plus d’un homme, avec ou sans raison,
Nomme le vrai bonheur, je suis resté garçon.
Mais lui, c’est différent ; il vit aux champs, s’y tue,
À ménager son bien s’épuise et s’évertue ;
Il a femme, et deux fils ; j’en ai pris un, le grand :
Il était tout marmot ; j’en ai fait mon enfant.
Je l’aime, j’en suis fou ; c’est mon dieu, mon caprice.
Le seul être, je crois, qu’au monde je chérisse.
Aussi comme je cherche et veille nuit et jour
À me faire payer par lui du même amour !
Je donne sans compter, par dessus tout je passe,
De mon autorité surtout je lui fais grâce[1].

Ne sont-ce pas là deux caractères nettement posés l’un en face de l’autre ? Et comme en chacun d’eux tout s’explique, tout s’enchaîne ! Déméa habite la campagne ; il en a les habitudes laborieuses et serrées ; il a beaucoup travaillé, beaucoup peiné ; il travaille et peine encore ; il est dur à lui-même ; comment ne serait-il pas dur aux autres ? Il a, de plus, connu les charges,

  1. Traduction de M. Fallex.