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en 1656 qu’il allait y écrire ses Provinciales. Arnauld était confesseur des religieuses depuis 1648 et collaborait à tout. C’est en 1654 que de Saci entreprit sa traduction du Nouveau Testament, au château de Vaumurier, où des conférences avaient lieu pour cet objet. C’est probablement à cette époque aussi que tous ceux qui se mêlaient d’éducation cherchaient à simplifier les méthodes d’enseignement, et qu’après discussion on arrêtait en commun les bases des ouvrages que devaient composer plus tard les uns et les autres. Le voisinage de tous ces hommes animés d’un même esprit, poursuivant un même but, ne pouvait manquer d’être singulièrement profitable aux jeunes gens, que tous voulaient servir, chacun selon son aptitude et ses moyens[1].

  1. Voici comment M. Vérin, auteur d’une Etude sur Lancelot (thèse de doctorat, 1869), dépeint la vie des enfants et des maîtres qui se trouvaient alors à l’école des Granges :

    « Ce devait être une douce vie que celle des écoliers de Port-Royal des Champs. Ils vivaient là en famille, ermites et écoliers, au milieu de cette belle solitude et de ces grands bois qui, à trois lieues de Versailles, leur formaient une profonde retraite et les isolaient (ou du moins auraient dû les isoler) de tous les bruits du monde. Qu’on se figure ce désert, si cher à ces hommes épris de solitude et de silence, ce désert dont ils parlent avec tant d’amour quand ils y vivent, avec de si touchants regrets quand ils en sont chassés. Qu’on se figure un site, plutôt triste et sévère qu’attrayant, dont l’aspect seul devait inviter l’âme au recueillement et à la prière. Qu’on se représente cette réunion d’hommes intelligents, pieux, pénitents, s’astreignant sans vœux, à une discipline presque monacale, joignant le travail à la prière et l’étude aux exercices religieux ; et à côté d’eux, au milieu d’eux, un essaim d’enfants aux physionomies joyeuses, comme pour faire contraste avec ces figures sévères et un peu solennelles. On est tenté d’envier le sort de Lancelot à cette douce époque de sa vie. Il me semble le voir entouré de ses écoliers, ou plutôt de ses enfants, car il les traite en père ; conversant avec les autres solitaires, ses amis, ses collaborateurs, avec le grand Arnauld, dont il recueille précieusement les idées pour en composer un de ses meilleurs ouvrages ; errant, aux heures de repos, dans ces jardins ornés et cultivés par Arnauld d’Andilly, autour des étangs, et sous ces beaux arbres qui ont inspiré à Racine ses premières poésies. Je crois voir Racine lui-même s’enfonçant dans les bois de l’abbaye avec Sophocle ou Euripide, ou bien accompagnant dans ses promenades celui qu’il appelait familièrement son papa, le premier de tous les solitaires, M. Le Maître.

    De temps en temps les récréations des élèves, bien qu’exemptes de tumulte, interrompaient agréablement le profond silence de ces lieux. Parfois aussi les chants des religieuses, venant de l’église réédifiée récemment par la mère Angélique, arrivaient affaiblis jusqu’aux Granges, et plus d’une fois sans doute firent vibrer dans l’âme tendre du jeune poète qui s’y formait quelque fibre doucement émue. »