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REVUE PÉDAGOGIQUE.

la nature. Pour lui, la perfection est à l’origine, non à la fin des choses. Chute originelle, expiation par l’ignorance, l’erreur et la souffrance, redressement et rédemption par la philosophie, tel est à ses yeux le résumé de notre destinée. C’est ce qui assure la légitimité de son entreprise.

Quant aux résistances possibles, au droit de chaque individu à se diriger soi-même, dans la mesure de ses forces, il n’y songe pas, ou du moins il les dédaigne. Comme tous ceux qui ont une foi absolue dans la bonté de leur œuvre et dans l’excellence de leurs procédés, il est autoritaire, despotique, tracassier même ; et ce qu’il établit est établi à tout jamais, immuable, universel, sacré. « Dans la vie privée, dit-il, et dans l’intérieur des maisons, il se passe une infinité de choses de peu d’importance, qui ne paraissent pas aux yeux du public, et dans lesquelles on s’écarte des intentions du législateur, chacun se laissant entraîner par le chagrin, le plaisir, ou toute autre passion ; ce qui fait que les mœurs des citoyens n’ont rien d’uniforme ni de ressemblant entre elles. Or c’est un grand mal pour les États[1]… Si l’administration domestique n’est pas réglée comme il faut dans les cités, en vain compterait-on que les lois qui ont pour objet le bien commun puissent donner à l’État la stabilité qu’il attend d’elles » [2]. On reconnaît à ce désir impuissant d’une stabilité chimérique dans les lois qui fit que Lycurgue, suivant la tradition, après avoir reçu de ses concitoyens le serment de ne rien changer à ses institutions pendant son absence, partit pour un long voyage, et ne revint jamais.

  1. Lois, éd. Tauchnitz, p. 208.
  2. Ibid, p. 211.