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LES DOCTRINES PÉDAGOGIQUES DES GRECS.

son compte la faim, la soif, les désirs amoureux, le froid, le chaud, la fatigue[1]. Cette leçon, que termine et qu’éclaire la belle allégorie du sophiste Prodicus, convient à la jeunesse de tous les temps ; elle se comprend mieux encore chez des Grecs qui pouvaient tous aspirer au grade de stratège, et qui devaient développer en eux de bonne heure cette qualité, si importante pour un chef d’armée, de savoir subordonner ses besoins personnels, ses intérêts et ses plaisirs aux exigences de sa fonction.

Dans le quatrième livre des Entretiens, Socrate exprime une opinion plus contestable en montrant à ses disciples jusqu’où un homme bien élevé doit pousser ses études dans chaque science. « Il conseillait d’apprendre la géométrie jusqu’à ce qu’on fût capable de mesurer exactement un terrain, l’astronomie assez pour reconnaître les divisions de la nuit, du mois et de l’année, lorsqu’ils voyageraient sur terre et sur mer ou qu’ils seraient en sentinelle… Mais il désapprouvait qu’on portât l’étude de ces sciences jusqu’aux problèmes difficiles, et qu’on s’engageât dans des recherches vaines[2]. » En restreignant ainsi l’étude des sciences à l’utilité pratique, Socrate semble méconnaître la légitimité de la spéculation pure, à laquelle il s’était cependant livré lui-même, et qui répond à un des plus nobles besoins de l’homme, celui de savoir. Il ignore aussi, ce qu’on ne pouvait du reste deviner dans ces temps primitifs de la science, que des applications pratiques innombrables résultent des recherches les plus abstraites. Mais c’était la réaction du bon sens contre les chimères des philosophies antérieures, qui prétendaient embrasser l’univers dans leurs construc-

  1. Voir Entret. Mém., 1. II, ch. 1.
  2. Entret, Mém., 1. IV, ch. 7.