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NÉCROLOGIE

En quelques années il connaissait tout le personnel ; sa mémoire excellente classait les vœux et les mérites signalés par l’inspection générale ; et lors de cette grande combinaison, qu’est le mouvement, très naturellement, très judicieusement, le nom du candidat souhaité et consentant venait se poser sur le poste à pourvoir.

Dans ce labeur écrasant, le secrétariat de la Revue Pédagogique fut une récréation. Sabatié aimait la Revue ; quand il en parlait, l’entretien risquait toujours de se prolonger. Mieux que personne, Ernest Dupuy, qui lui aussi avait un faible pour la Revue Pédagogique, aurait dit le charme de ces entretiens. Alors Sabatié s’animait ; son visage menu s’épanouissait en un rire large et franc. Spirituel, malicieux même, il était intarissable. D’un goût très sûr, amoureux de la langue jusqu’au purisme, il souffrait d’une page écrite sans un respect suffisant de la forme. Je ne dirais pas qu’il fût pédagogue dans l’âme. Un bon article de critique littéraire valait pour lui la meilleure des dissertations pédagogiques ; et cette préférence amena d’excellentes collaborations à la Revue. Mais à aucun moment il n’oubliait son rôle de secrétaire. Toujours en quête de documentation, il guettait l’article. Je ne suis pas une fois parti en mission sans entendre la phrase : u Vous nous donnerez quelque chose ». Il s’ingéniait à améliorer la forme extérieure de la Revue en même temps qu’à en accroître l’intérêt, il a certainement contribué à étendre la bonne réputation d’un organe dont, pendant longtemps, il eut la charge principale.

Ces multiples occupations étaient lourdes. Sabatié en supportait allègrement le poids. N’y trouvait-il pas d’ailleurs un refuge passager contre des chagrins qui meurtrirent sa vie ? La destinée lui fut cruelle. De bonne heure frappé dans ses plus chères affections, il demeura seul avec deux jeunes enfants dont l’un était de santé délicate. Et ce fut une lutte de tous les instants où Sabatié déploya une continuité d’énergie et s ingénia à des raffinements de tendresse dont peu de pères seraient capables. Dans le combat où le soutenait la vaillance de son admirable mère, ses forces s’épuisaient. À force de volonté, il se raidissait ; mais, d’année en année, il offrait moins de résistance au mal dont il était atteint. Parti, cet été pour sa cure habituelle, il dut l’interrompre et rentrer à Paris, frappé à mort et le sachant. Après une existence si bien remplie, Sabatié, n’eut pas la consolation d’une fin paisible ; et, à toutes les tristesses de sa vie la certitude du proche dénouement ajouta l’angoisse de se sentir alors, autant que jamais, nécessaire aux êtres chéris qui allaient demeurer seuls.

Puisse la mémoire de sa tendresse et de son stoïcisme les soutenir dans ces heures douloureuses !