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candeur, de la fraîcheur enfantines, emportés à la grande aventure mystérieuse, digne du second acte de Siegfried. Et maintenant laissez-vous aller : ne vous demandez pas s’il serait possible d’user de tours de main — ou de bâton — plus adroits ; si cette construction sonore est conforme à l’esprit français. Nous n’en avons que faire ici de l’esprit français ! Un bon géant naïf nous tient par la main et nous entraîne dans un dédale de forêts, de rochers, d’où les points de vue les plus riants apparaîtront au détour des fourrés. N’exigez pas la grande route, les ponts, les hôtels et les belvédères artificiels d’un art musical qui s’apprend comme on apprend à devenir ingénieur à l’École centrale. Vous êtes l’hôte de la nature vierge et votre guide a l’âme pieuse, tout à la fois débonnaire et violente, et agitée d’agrestes et graves pensées d’un montagnard styrien. De sa vie entière, qui fut de soixante-douze ans, cet homme qui dédiait ses symphonies aux Rois, aux Empereurs et au bon Dieu, n’a jamais mis sa tête dans un chapeau haute forme et n’a jamais eu de frac. Mais il est de la lignée des génies, spontanés et débordants ; il fait tour à tour penser si l’on veut à Rabelais (pas dans cette symphonie-ci), à Corneille, à Bossuet, à Rousseau, à Chateaubriand, à Balzac, tous génies français, qui n’ont pas brillé précisément par le sens bien français de la mesure et de la pondération. Et à quoi d’allemand et d’autrichien, quels sites, quelles architectures, on peut encore l’apparier, je l’ai assez dit ailleurs pour n’y pas revenir. Mon Dieu ! Si vous pouviez donc jouir de l’ordre et de l’élan, de la fougue et de la tendresse qu’un Lœwe, seul, sait y mettre dans ces premiers morceaux brucknériens ! Alors les grandes lignes définitives apparaissant, alors l’œuvre devient invulnérable. Écoutez cet orchestre : il a été la mine inépuisable dans laquelle se sert l’art allemand contemporain. Ici Mahler a pris telle de ses habitudes ; ailleurs Strauss a fait sa palette… Et les spécialistes eux vous diront à quel point il est rigoureux, cet ordre qui règne ici, et tout le pédantisme secret de maître d’école-titan, que cache cet apparent chaos, car le génie brut d’un Bruckner se complique d’un autodidactisme étroit auquel lui seul pouvait résister et échapper. Un Alfred Westarp saurait