Page:Revue musicale de Lyon, année 7, numéros 12-13, 1910.djvu/25

Cette page a été validée par deux contributeurs.

toutes les formes profanes. Dès lors il y a dans son œuvre un côté fort ardu pour nos oreilles modernes et d’autre part, un côté vraiment enivrant ; ce que nous appellerions pour un peu du pédantisme et d’autre part les plus incroyables audaces. C’est l’orchestre wagnérien dans le sanctuaire, comme c’est à Fourvière, dans un rigide appareil de pierres fuguées toutes les somptuosités de la plastique, de la couleur et de la matière. Rien n’est assez beau pour le culte musical de Bruckner : il y veut toute sa science autant que toute son inspiration. Et il voit dans les accords ce que nous n’y savons plus voir. Ajoutez qu’en tout autre domaine il demeure un rustre ; il a de la culture, mais une culture de maître d’école de village ; il n’a point de manières, aucune éducation. Il a la notion de la belle musique, de la belle nature, de la belle prière ; il n’a peut-être pas la notion d’une œuvre d’art. Imaginez Saint-François d’Assise : si vous l’aviez questionné sur la théologie et la science, il vous eut sans doute parlé trivium, quadrivium et syllogisme, comme les délicieux giottesques du Chiostro Verde à Florence. Puis il eut repris ses cantiques au soleil et à l’amour, on se fût retourné vers ses oiseaux. Même chose chez Bruckner : ici de la scolastique, là les plus beaux paysages du monde ; ici les fanfares de saint Michel et du Michel Ange orchestré, là des rondes de paysans Autrichiens… Il va sans dire qu’au sortir de Pelléas et Mélisande, on sera un peu interloqué. Rien de ces raffinements impressionnistes où tout est nuance plutôt que couleur, et couleur plutôt que lignes. Ici, avant tout des architectures colossales, et sur ces architectures les fresques et les mosaïques, et dans ces architectures la sculpture et les vitraux. Ou tout simplement des fleurettes. De temps en temps même quelque drôlerie, quelque matoiserie de paysan nous rappellent que le catholicisme sublime aussi bien une âme peuple qu’une âme royale, et Bruckner est peuple. Par ce côté, par ce seul côté, il est mal à l’aise dans Fourvière qui, œuvre individuelle et en quelque sorte sacerdotale parmi les œuvres d’art, fait penser en tant qu’art du détail aux raffinements et aux singularités de l’orchestre de Mahler, mais c’est justement pourquoi aussi