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jeunesse de ce vieux cœur, de cet épais sang rouge paysan, qu’il me semble sentir partout dans cette musique. Chaleur de l’âme et du corps, qui se sont conservés vierges pour mieux se donner, et qui ne trouvèrent à se donner, mais de toutes leurs forces créatrices, que dans la musique. Ceux qui ont noté le rythme de marche constant de l’andante surprendront, ici encore, un exemple de ce que j’ai dit des répétitions de figures ornementales, dans cette continuelle oscillation de pendule, ce balancement des contrebasses et des violoncelles, sous les amples labeurs de cette poussée constructrice. Les proclamations cuivrées, les chorals propitiatoires bombent vers le ciel comme le revêtement métallique des dômes, réitérés comme les fantaisies d’un architecte qui pourrait faire croître l’édifice du seul élan de sa volonté. Certes, après tant de beautés déjà, les plus grandes beautés de l’œuvre sont là. Mais elles laisseront sur un sentiment à la fois d’admiration et d’épuisement. Eh bien, dites-vous, que les laborieuses gésines de cette imagination surchauffée, l’exaltation de cette âme en mal de sortir d’elle-même, tout le grandiose quelle sent remuer deviendront plus tard un spectacle d’une autre épouvante ! Et pourtant déjà les plus fastueux excès du wagnérisme tétralogique trouvent ici leur pendant. Les finales de cette sorte me donnent toujours l’impression du moment où, en course de montagne, on est arrivé assez haut pour que la vue aille de sommets en sommets. Plus de bases, plus d’avant-plans. La vue saute par-dessus les abîmes, de pic en pic. On est au bout de ses peines. On mesure de là-haut tout le chemin parcouru. Un coup d’œil résume tout. Bruckner n’a jamais écrit que de tels finales. Là où d’autres le traitent en abside de cathédrale, lui, le fait en faisceau de tous les clochers et coupoles, de tous les pinacles de l’édifice, de tous les points culminants de la chaîne de montagnes. On s’apercevra bien un jour que cette ronde terminale, par les sommets, est aussi logique et avait aussi bien sa raison d’être que la ronde autour des contreforts et fondations. Puis arrivera Mahler qui conciliera tout, Mahler dont seuls peuvent dire qu’il ne tient rien de Bruckner, à côté de ceux qui ont intérêt à le soutenir, ceux