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Bruckner à un concert de France. Et je concède facilement que quatre morceaux de cet acabit puissent être une fatigue pour une attention et une sensibilité non entraînée. Mais que voulez-vous ? Eux-mêmes, les paysages autrichiens ordinaires, comparés à ceux ordinaires de France, ont une autre étendue. Rien qui ressemble au bassin de la Loire ou de la Seine dans celui du Danube. L’illimité est la loi. Les fleuves et les chaînes de montagnes s’étirent paresseusement, avec des heurts et des rejets d’une brusquerie proportionnée à ces longues paresses. C’est une des explications de l’œuvre, la plus naturiste qui ait jamais existé en Autriche. Nature autrichienne, catholicisme et loyalisme, c’est, pour le fond, tout Bruckner.

TROISIÈME MORCEAU. — Scherzo. Mouvementé. Si bémol majeur. Achevé en décembre 1878. Une chasse dans une contrée de châteaux en ruines. Une chasse avec des fanfares aux arrêts cassants. Un humour drôle, mêlé de poésie. Dans l’œuvre de Bruckner un scherzo exceptionnel ; le moins scherzo de Bruckner de tous. Un scherzo paysage, au lieu des piaffées paysannes, — de paysans, qui seraient de la famille des bons géants de Rabelais. Mais en soi, celui-ci, tout aussi réussi que les autres.

Et les cavaliers rouges — oh ! la Saint-Hubert seigneuriale d’Autriche, combien de fois dans ses rôderies aux environs de Saint-Florian, Bruckner dut-il la voir passer sous bois, — les cavaliers sonnant du cor se dispersent. On s’égare, on se perd, on s’entre-répond de loin ; — on se cherche dans les halliers… On se rapproche ; on se rejoint. — Reprise.

Trio. Isolé sur le plateau nu, un pâtre les regarde passer et ne s’occupe que de son chalumeau… Et pourtant je ne veux pas imposer un programme… Mais pour moi ce pâtre est Slave, et il y a ici un salut à Smetana, dont certainement, à cette époque, Bruckner ne pouvait rien avoir entendu non plus. L’extinguendo serait même typique de Smetana… C’est la vieille goutte slave, fondamentale de tout le sang, même le plus allemand d’Autriche, qui a travaillé ici… Le manuscrit de la seconde version porte une suscription : « Air de danse pendant le repas de la chasse. » Elle ne contredit en rien mon impression.