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rence aussi radicale que la polémique actuellement engagée en Allemagne pourrait le faire croire ? Je ne le pense pas. À y regarde de près, on s’aperçoit que le débat roule avant tout sur la question de déterminer la part qui revient à l’action individuelle dans le développement historique. M. Lamprecht ne nie pas cette action, il prétend seulement en réduire le rôle. Au lieu de faire servir les événements collectifs à expliquer l’individualité, il cherche au contraire à ramener celle-ci à la collectivité. M. Monod exprimait naguère ici même des tendances analogues : « On est trop habitué en histoire, disait-il[1], à s’attacher surtout aux manifestations brillantes, retentissantes et éphémères de l’activité humaine, grands événements ou grands hommes, au lieu d’insister sur les grands et lents mouvements des institutions, des conditions économiques et sociales, qui sont la partie vraiment intéressante et permanent de l’évolution humaine, celle qui peut être analysée avec quelque certitude et dans une certaine mesure ramenée à des lois. Les événements et les personnages vraiment importants le sont surtout comme des signes et des symboles des divers moments de cette évolution ; mais la plupart des faits dits historiques ne sont à la véritable histoire humaine que ce que sont au mouvement profond et constant des marées les vagues qui s’élèvent à la surface de la mer, se colorent un instant de tous les feux de la lumière, puis se brisent sur la grève sans rien laisser d’elles-mêmes. »

Cette rencontre d’un savant français et d’un savant allemand est significative. Elle prouve, ce semble, que l’orientation historique nouvelle a pour elle l’avenir.


H. Pirenne.
  1. Revue historique, juillet-août 1896, p. 325.