Page:Revue historique - 1897 - tome 64.djvu/61

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

science exacte, tandis que d’autres prétendirent, au contraire, lui enlever le nom de science et ne lui reconnurent qu’une valeur artistique. De leur côté, bon nombre d’historiens tentèrent de créer, sous le nom d’histoire de la civilisation, un tableau d’ensemble de l’activité sociale. L’intérêt de plus en plus vif qu’excitaient partout les problèmes sociaux et les questions économiques contribua, de son côté, à soutenir les efforts et à augmenter la confiance des novateurs, et ainsi, sous l’impulsion du développement scientifique et de l’esprit public, l’histoire entreprit une fois de plus de se transformer.

Une brochure, publiée en 1888 par le professeur Dietrich Schæfer, est un indice très clair de ce nouvel état de choses. Sous le titre Das eigentliche Arbeitsgebiet der Geschichte, M. Schæfer voulut défendre, contre l’invasion dont elles étaient menacées, les positions de l’école politique. Il prétendit montrer que l’histoire ne peut pas être que l’histoire de l’État, qu’elle doit étudier avant tout l’action des individus et qu’elle reconnaît dans les forces morales son moteur principal et essentiel. Il n’accordait à la psychologie des peuples, à l’histoire du droit, à l’histoire économique, que le rang de sciences auxiliaires distinctes de l’histoire proprement dite. Le plaidoyer de M. Schæfer fit grand bruit. M. Eberhard Gothein lui répondit et, dans un travail très remarquable[1], soutint que l’histoire politique ne forme qu’un chapitre et l’histoire de la civilisation qu’une manifestation spéciale de l’activité humaine, et que la tâche de l’historien consiste à démêler, sous la complexité des faits sociaux, les idées qu’ils expriment.

C’est vers la même époque que commença de paraître la Deutsche Geschichte de M. K. Lamprecht. De 1891 à 1895, six volumes se succédèrent, menant l’histoire d’Allemagne jusqu’à la fin du XVIe siècle. Dès 1896, une seconde édition attesta la faveur que l’ouvrage avait rencontrée dans le public[2]. Cette faveur est caractéristique, car le livre de M. Lamprecht affichait franchement des tendances toutes nouvelles. L’auteur rompt décidément avec l’école de Ranke. Il conçoit l’histoire d’Allemagne comme l’œuvre collective de la nation allemande, comme le produit d’une évolution d’états socio-psychiques s’engendrant les uns les autres et auxquels se ramène la diversité infinie des événements politiques, des faits économiques, des courants religieux, des mouvements artistiques, scientifiques et littéraires de chaque époque.

Une conception si diamétralement opposée à celle qui avait dominé

  1. Die Aufgaben der Kulturgeschichte, Leipzig, 1889.
  2. Voir plus loin un compte-rendu détaillé de l’ouvrage de M. Lamprecht.