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fables romantiques dont l’histoire de son pays était encombrée. À la différence de ses prédécesseurs et même de ses contemporains et même de quelques-uns de ses successeurs, il ne croit pas aux origines classiques de sa nation, à la mythique Scota, fille du pharaon noyé dans la mer Rouge[1], femme d’un prince athénien, dont Gavin Douglas, évêque de Dunkeld, contait encore, en poète qu’il était, l’histoire à Polydore Vergile, le suppliant d’y croire et de lui donner place dans sa chronique[2]. Il rectifie la liste des rois d’Écosse ; bref, le premier de tous, en son pays, il fait œuvre d’historien et s’applique à exclure les fables[3].

Or, ce qui est fort embarrassant pour les adversaires du poète-roi, le poids de son témoignage est entièrement en faveur de Jacques Ier. Major est explicite et formel. Dans son Historia Majoris Britanniae, publiée à Paris en 1521 et commencée bien des années auparavant, Major donne un portrait de Jacques Ier ; il s’inspire des contemporains qui l’ont connu personnellement, Bower, Æneas Sylvius Piccolomini ; mais il ne les suit pas les yeux fermés, il fait, quand besoin est, la critique de leur témoignage ; il retouche, par exemple, le portrait du roi tracé par Æneas Sylvius. D’autre part, au lieu de nous dire simplement, comme Bower, que Jacques s’adonnait avec délices à l’art littéraire, il est plus explicite, et s’exprime ainsi :

  1. « … de hac prima profectione de Graecia et Aegypto figmentum reor, » fol. xvii.
  2. Vergile a rapporté tout au long les supplications de « Gauinus Dunglas » pour que, malgré Major, il conservât à cette fable le caractère historique (Historiae Libri XXVI. Bâle, 1534, p. 60).
  3. C’est aux œuvres philosophiques de Major que se rapporte la célèbre épigramme de Buchanan, l’élève et l’irréconciliable ennemi de Major. On a voulu y voir (Athenæum du 16 janvier 1897) une allusion dédaigneuse à l’Historia Majoris Britanniae ; mais c’est à tort. Voici l’épigramme :

    Cum scateat nugis solo cognomine Major,
    Nec sit in immenso pagina sana libro,
    Non mirum titulis quod se veracibus ornat,
    Nec semper mendax fingere Creta solet.

    Buchanan raille ici l’appellation que Major se donnait souvent à lui-même dans ses épîtres et dédicaces (e. g., « Joannes solo cognomento Maior, » — dédicace de ses Reportata super [libr.] sententiarum… Duns Scoti. Paris, 1517, in-fol.) ; il dit : ne soyons pas surpris si Major nous déclare qu’il n’est grand que de nom ; la menteuse Crète elle-même ne ment pas toujours. Buchanan visait les gros ouvrages de scholastique de Major ; il ne pouvait traiter d’« immenso libro » une petite histoire en 292 pages qui, du reste, ne se prêtait pas à sa plaisanterie, car Major la signe de son nom : « Per Joannem Majorem, » saus ajouter le « solo cognomine. »