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Dans le livre XII (t. IV, p. 175) on trouvera d’intéressantes réflexions sur l’une des conséquences les plus importantes de l’affaiblissement du pouvoir central. C’est à partir des empereurs de la maison de Souabe que le rôle de l’argent a pris en Allemagne une plus grande importance, au détriment des prestations en nature. C’est ce qu’on appelle la période de Geldwirthschaft opposée à la période de Naturalwirthschaft. Or, cette grande transformation économique ne s’est point établie dans toutes les parties de l’Allemagne avec la même rapidité et de la même façon, et cela précisément « parce qu’elle ne s’est point établie par l’intermédiaire d’une puissance supérieure, prenant pied avec une égale sûreté dans toutes les parties de l’empire ; » elle n’a profité d’abord qu’aux localités qui étaient des centres d’industrie ou de commerce, c’est-à-dire aux villes. C’est là, au dire de Lamprecht, un des événements les plus considérables de l’histoire d’Allemagne, c’est à lui qu’il faut rapporter l’opposition qui mit aux prises les princes et les villes au cours des XIVe et XVe siècles. C’est à lui encore qu’il faudrait attribuer les guerres sociales qui éclatèrent au XVIe siècle, qui conduisirent l’Allemagne aux horreurs de la guerre de Trente ans ; et c’est par là enfin qu’on peut expliquer, dans une large mesure, le contraste qui existe encore aujourd’hui entre les villes et les campagnes, contraste souvent si fâcheux pour le développement intérieur du pays.

Ces réflexions éclairent d’une vive lumière ce qu’on nous dit du développement politique et social de la bourgeoisie et des villes. Nous voyons souvent l’argent, l’arme bourgeoise par excellence, faire passer le pouvoir « aux conseils de ville, » lentement et sans violence. Déjà, au XIIIe siècle, le capital a commencé à s’accumuler entre leurs mains, c’est le moment où s’affaiblit le pouvoir des princes et des seigneurs urbains. Les vieilles familles aristocratiques perdent de leur importance, le conseil grandit et s’arroge peu à peu tous les droits, mais les aristocraties commerciales n’ont pas, en général, une vie bien longue. La facilité avec laquelle elles s’enrichissent développe leur orgueil, affaiblit leur moralité et, en orientant leur esprit vers les bénéfices et les gains, déchaîne l’égoïsme. Ceux qui fondent les grandes maisons de banque et de commerce ne craignent-ils pas encore aujourd’hui de voir s’effondrer leur œuvre, à la troisième génération, entre les mains de petits-fils qui n’auront pas leur valeur ? Et il ne faut pas oublier qu’à la fin du XIIIe siècle, la puissance du capital était plus grande qu’elle ne le fut dans la suite. Le capital était alors comme une force neuve inconnue à la masse de la nation. Son pouvoir avait quelque chose de mystérieux parce qu’il était incompris !

Je ferais plus volontiers quelques réserves sur la description qui nous est donnée de la situation des classes rurales au XVIe siècle et sur la manière dont sont appréciés les rapports des paysans et des seigneurs du Nord-Est de l’Allemagne. On ne peut se borner à dire purement et simplement des homines proprii et glebae adscripti qu’ils étaient des esclaves. Lamprecht connaît cependant les complications historiques