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qu’elles ont joué dans la formation des souverainetés territoriales ni sur les droits que se sont attribués les seigneurs vis-à-vis des Markgenossen.

Après avoir lu avec un soin particulier les chapitres consacrés à l’empereur Frédéric II, je suis embarrassé pour dire quel jugement Lamprecht porte sur ce prince. Le résumé qu’il donne de son règne est fait avec soin, mais pourquoi ce silence sur la diplomatie dont il use envers la cour de Rome ; pourquoi ne pas dire un mot des engagements que, dès avant 1215, Frédéric avait pris envers la papauté : 1o ne réunir les couronnes d’Allemagne et de Sicile ni sur sa tête ni sur celle de son fils ; 2o respecter et au besoin défendre les droits du Saint-Siège sur les États de l’Église, ainsi que ses droits de suzeraineté sur la Sicile ; 3o s’abstenir de toute immixtion dans les affaires spirituelles et respecter la liberté des élections aux fonctions ecclésiastiques ; 4o entreprendre une croisade ?

Lorsque l’auteur arrive au XIVe siècle, il semble sur un terrain où il se sent encore moins sûr. La forme devient plus prétentieuse, on trouve de plus en plus des expressions tantôt bizarres, tantôt négligées, des épithètes peu heureuses et même inexactes, des expressions absolument intraduisibles en français et dont il m’a été souvent impossible de comprendre la portée. Tantôt il se contente, pour caractériser certains personnages, de reproduire des anecdotes plus ou moins dignes de foi, tantôt il croit faire merveille en employant des expressions étranges, comme lorsqu’il nous dit de Jean de Bohême (t. IV, p. 97) et de Sigismond (p. 203) qu’ils « prostituent leur personnalité. » Nous admettrons volontiers avec lui que toute cette époque est profondément influencée par les phénomènes économiques, mais peut-on croire que c’est à des raisons économiques qu’est due la séparation d’avec l’empire de la Suisse et de la Flandre, et cela sous prétexte qu’ici la civilisation urbaine prit le dessus, tandis que la classe paysanne se maintint là ? N’y avait-il pas déjà en Suisse des villes prospères dès cette époque ?

Nous voulons montrer, par ces réserves, qu’il ne faut pas prendre trop à la lettre ces pages brillantes, souvent plus ingénieuses que justes. Mais nous nous plaisons à dire que, là même où l’on ne saurait être complètement d’accord avec l’auteur, on reconnaît que la lecture de son ouvrage est éminemment suggestive et qu’il émane véritablement d’un penseur. On peut signaler, parmi les pages les plus intéressantes, celles qui ont pour but de montrer comment la vie des peuples, aussi bien que celle des individus, est un effort incessant du corps et de l’esprit vers un renouvellement infini. « Au lendemain de la chute de la maison de Souabe, nous dit-il, les anciennes « paix perpétuelles » semblent oubliées, mais nous voyons surgir à leur place un redoublement d’activité de la part des princes et des villes. Au début, ils s’appuient encore sur ces anciennes « paix, » et celles que promulguent les États (Stände) ont la prétention d’être des mesures exécutoires de la « paix d’empire. » Le roi les revêt de sa sanction, en s’y faisant recon-