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ne le cite pas parce qu’il ne le connaît pas. Ronsard, qui s’était nourri en sa jeunesse de nos anciens poètes, « ayant toujours en main, dit son ami Claude Binet, quelque poète français qu’il lisait avec jugement, » ignore tout aussi profondément les poésies de notre duc. Marot, ce qui est plus caractéristique encore, dresse ex professo une liste de poètes français, de Jean de Meung jusqu’à lui-même ; il fait place à Alain Chartier, Jean le Maire, Villon, Crétin, les deux Greban, Coquillart, etc.[1], mais ne cite pas Charles d’Orléans. On pourrait multiplier indéfiniment les exemples.

La négligence de Jacques VI pour la gloire de son ancêtre n’est pas plus complète, et elle est moins remarquable (car ici l’intervalle de temps est moins long) que celle de Louis XII et de François Ier pour les œuvres de Charles d’Orléans. Louis XII aimait la littérature et écrivait des vers ; jamais il ne s’occupa le moins du monde de tirer d’oubli les écrits d’un poète dont il était le fils, et il ne fit jamais la moindre allusion à ses œuvres. François Ier, qui lui succéda, père des lettres, petit-neveu de Charles d’Orléans, qui écrivit des volumes de poésies, demeura également muet. Il s’intéressait cependant à toute littérature, à celle des anciens et à celle des modernes, aux œuvres des vieux poètes français comme à celles des contemporains ; il fit donner par Marot une édition rajeunie du Roman de la Rose, mais l’idée ne lui vint pas de faire quoi que ce fût pour la mémoire de son grand-oncle. Le silence fut complet, et il dura jusqu’au temps où l’abbé Claude Sallier exhuma, au xviiie siècle, les œuvres du prince, qu’il avait retrouvées dans la Bibliothèque royale.

On pourrait citer d’autres exemples encore d’un sort pareil, moins caractéristiques peut-être, mais cependant assez frappants. Le roi René d’Anjou, ami de Charles d’Orléans, auteur d’une quantité de poèmes, dont l’un ressemble au Kingis Quair en ce qu’il a pour sujet les amours de l’auteur avec la femme qu’il devait épouser[2], tomba dans un oubli un peu moins profond, mais peu s’en faut, et ses œuvres n’ont été imprimées que de notre temps.

  1. Des poètes français. A Salel.
  2. C’est son poème de « Regnault et Jeanneton, » pastorale où Regnault représente le roi René et Jeanneton la belle Jeanne de Laval, sa seconde femme, qu’il épousa en 1455.

    On n’a jamais remarqué que le début de ce poème offre une ressemblance