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par ces exemples que l’histoire politique de l’Allemagne a été traitée l’une façon trop légère en même temps que trop brève.

Les chapitres consacrés à décrire la situation économique, juridique et sociale du peuple allemand sont au contraire un peu diffus. Nous savons sans doute par les travaux antérieurs de l’auteur qu’il est extrêmement érudit et qu’il a beaucoup lu. Mais, sans lui demander d’appuyer ses assertions par un appareil d’érudition et de notes qui eussent alourdi le récit, on voudrait quelquefois trouver des preuves à l’appui de certaines considérations. Sur quels documents et sur quels faits se fonde-t-il donc pour nous dire qu’au milieu du XIIe siècle le peuple et l’État s’émancipaient des idées religieuses, que l’influence politique de Rome était considérablement ébranlée et que les courants religieux de l’Occident ne subissaient plus son impulsion ? C’est pourtant l’époque que Ranke appelle avec raison « l’âge hiérarchique. » Ses considérations sur le régime féodal sont un peu fantaisistes. Je ne saurais admettre que dès la seconde moitié du XIe siècle (t. II, p. 106 et suiv.) le fief eût perdu de son importance primitive pour prendre surtout une importance économique. Mais le « Miroir de Saxe » ne nous dit-il pas encore, au XIIIe siècle, que le fief est moins une propriété que le salaire d’une fonction : Das Lehn is der rittere sold (Homeyer, t. II, p. 314) ? Propriété, fonctions et noblesse se confondent : la propriété est une fonction, la fonction est une propriété ; la chevalerie elle-même est beaucoup moins une noblesse qu’une fonction, et c’est justement pour cela qu’elle n’est nullement un corps fermé. Il eût fallu montrer que ce qui caractérise le mieux le génie des Allemands d’alors ce sont leurs sentiments sur les offices domestiques : le service près de la personne d’un supérieur n’est pas considéré comme avilissant, il augmente au contraire plutôt l’honneur et la puissance de celui qui le remplit tout en diminuant sa liberté : les serviteurs des rois sont en même temps les premiers fonctionnaires de l’État ; la servitude est ainsi plus estimée que la liberté[1].

J’ai été surpris également de voir que, malgré les lumineux travaux de J. Ficker, Lamprecht paraisse tenir si peu compte de l’importance que, dans la deuxième moitié du XIIe siècle, prend le titre de princeps. Il ne paraît pas croire que beaucoup de personnages possèdent le titre de comte sans être à la tête d’un comté, et après avoir pourtant étudié soigneusement dans sa Wirthschaftsleben le développement des avoueries, il ne renseigne les lecteurs de la Deutsche Geschichte ni sur le rôle

  1. Lamprecht s’explique aussi d’une façon peu exacte sur le système des « boucliers » (Heerschilde) et sur la formation de ces catégories qui avaient encadré les différentes classes de la société dans une organisation hiérarchique rigoureuse, organisation qui eut un rôle considérable dans les conceptions politiques du moyen âge allemand. Il paraît ignorer que le premier « bouclier » est celui du roi et que les princes ecclésiastiques ont un rang plus élevé que les princes laïques (voir mon Étude sur la politique de l’empereur Frédéric II, p. 86-88).