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insensible, sans lutte visible : révolutions profondes et cachées qui remuent le fond de la société humaine sans qu’il en paraisse rien à la surface et qui restent inaperçues des générations mêmes qui y travaillent. On ne peut les saisir que longtemps après qu’elles sont achevées, lorsque, comparant deux époques de la vie d’un peuple, on constate entre elles de si grandes différences qu’il devient évident que dans l’intervalle qui les sépare de grands changements se sont accomplis.

C’est surtout dans les chapitres consacrés à l’histoire politique que nous trouvons malheureusement les traces d’une certaine précipitation. Parlant de Conrad Ier élu en 911 (t. II, p. 116 et suiv.), on nous dit que c’est au clergé seul qu’il doit son élection et, quelques lignes plus loin, on déclare que ce souverain travaille seul, sans le secours du clergé, et que finalement il est obligé de se tourner vers lui ! Quelle idée faut-il se faire d’Otton le Grand, dont on nous dit (p. 131) : « Il n’avait pas de hautes qualités intellectuelles, il ne s’est révélé ni comme un diplomate remarquable ni comme un grand capitaine et n’avait pas le don d’observation » ? Les faits ne sont-ils pas en contradiction complète avec un semblable jugement ? Otton le Grand, quelques reproches qu’on ait d’ailleurs à lui adresser, n’a-t-il pas su toute sa vie s’imposer à ses voisins ? L’appréciation de Lamprecht est en contradiction avec celles de Sybel, de Ranke, de Kœpke et de tous les autres historiens de notre époque. On nous dit d’Otton III (p. 166) qu’il sauva la couronne impériale grâce à l’épiscopat de l’Allemagne centrale et méridionale. Or, en étudiant la situation, que constatons-nous ? Les évêques sont divisés, et on ne nous dit même pas quels étaient ceux dont le concours lui est si utile et quels sont les motifs de leurs rivalités. Il se peut qu’il y ait eu une certaine opposition d’idées entre Otton III et ses prédécesseurs. Est-on édifié sur cette opposition lorsqu’on apprend qu’Otton III « entend utiliser les courants intellectuels alors existants dans un sens universel pour procurer à l’empire une situation plus forte vis-à-vis de la papauté, puissance elle-même universelle » ? On nous dit (p. 253) que sous Conrad II les évêques perdent beaucoup de la puissance qu’ils avaient auparavant et que l’importance des grandes dignités ecclésiastiques s’affaiblit. Conrad II a-t-il donc modifié leurs droits de souveraineté ? Leur a-t-il retiré des comtés ? Il a simplement nommé à l’archevêché de Mayence un homme médiocre, mais en détachant de l’archevêché de Mayence la charge d’archichancelier pour le royaume d’Italie pour la faire passer à l’archevêché de Cologne. On nous dit encore que Conrad fut, sur le terrain de la politique sociale, un souverain novateur. Y a-t-il eu vraiment sur ce terrain des souverains novateurs à cette époque ? Lamprecht nous avait d’ailleurs dit auparavant que c’était Henri II qui avait jeté les bases de la politique sociale que devaient suivre les empereurs de la maison salique. Faut-il admettre (p. 271) que la politique italienne de ce souverain fut heureuse, pour reconnaître, avec raison, quelques pages plus loin, que ses résultats furent insignifiants ? On voit