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étroitement à l’organisation militaire et quels rapports existaient entre le sol, la nature des lieux et la manière dont la vie s’organisa. Le caractère économique de la centaine et celui de la propriété foncière sont fort bien mis en relief. On est arrêté çà et là par des réflexions trop inspirées par cette métaphysique sociologique dans laquelle se complaisent les Allemands. Que doit-on penser par exemple des définitions du genre de celle-ci : « L’État apparaît à cette époque comme une personnalité vivante, embrassant tout, et dont l’unité de composition est formée par des individus qu’on peut comparer à ces cellules des corps organiques qui dépendent les unes des autres » ?

Cette définition n’est-elle pas d’ailleurs en contradiction avec ce que Lamprecht dit lui-même du caractère économique de la centaine, montrant justement que la vie d’association ne s’était développée au fond que dans un sens : le sens militaire ? Ce que j’admets volontiers avec lui, c’est que l’originalité germanique ne disparut point dans la mêlée des invasions et que les Allemands furent en définitive peu accessibles à l’influence et aux idées des populations romaines : les modifications sont plus apparentes que réelles. En revanche, il glisse trop légèrement sur l’importance des transformations intellectuelles que le christianisme fit subir aux Germains. Il n’a pas un sentiment juste du rôle que jouent les conceptions religieuses dans l’évolution générale de l’humanité, il ne semble pas admettre que le sens religieux puisse être aussi une faculté de l’homme. Croit-il donc que des principes de liberté et d’égalité en germe dans la société germanique eussent suffi pour régénérer le monde romain ?

Il y aurait aussi des réserves à faire dans les chapitres où il est question des institutions et de la vie juridique. Que les sentiments des Germains sur la mission des femmes dans la famille aient été une cause de leur supériorité sur la société ancienne, tout le monde en tombe d’accord, mais est-il certain que la haute considération dont les femmes jouissaient en Germanie soit un reste du matriarcat[1], et peut-on dire que la pluralité des femmes ait été une sorte de privilège de l’aristocratie ?

La première partie du moyen âge est aussi remarquablement traitée, car c’est l’époque à la connaissance de laquelle l’auteur était par ses travaux antérieurs le mieux préparé. Ses patientes recherches sur la vie économique et sociale de ce temps lui ont permis de montrer, avec une autorité particulière, qu’il y a dans l’existence des sociétés humaines un assez grand nombre de révolutions dont le souvenir ne nous est fourni par aucun document et que les écrivains n’ont pas assez remarquées, parce qu’elles se sont accomplies lentement, d’une manière

  1. Peut-on, par exemple, voir une preuve de l’existence du matriarcat dans le chap. XX de Tacite, où Brunner voit au contraire (avec raison selon nous) l’exclusion du matriarcat ? — On pourrait croire aussi, d’après ce que nous dit Lamprecht, que le mariage était plus pur et plus honoré à l’époque mérovingienne qu’à l’époque de Tacite.