Page:Revue historique - 1897 - tome 64.djvu/156

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

En quelques pages brillantes, Lamprecht nous montre comment, dans la Germanie primitive, c’était une tendance absolument contraire qui avait prévalu : c’est dans la cohésion des membres d’une même tribu (Volksgenossen) que paraissait résider tout le progrès, et encore peut-on discuter sur la force du lien social qui existait entre eux. Au fond, l’homme était tout, l’État n’était rien, et dans cette indépendance sauvage la personnalité ne pouvait manquer de s’exalter ; elle forme le trait caractéristique des Germains. Insistant sur l’état économique de la Germanie primitive, Lamprecht met justement en relief l’importance de la centaine et montre en même temps comment il se forma à l’intérieur des tribus une certaine conscience collective (Stammesbewusstsein). Cette sorte de particularisme naissant ne pouvait manquer de retarder l’éclosion du sentiment national proprement dit. Il n’apparaît véritablement ni dans le royaume mérovingien ni dans l’empire carolingien, qui sont essentiellement des œuvres politiques et se sont constitués au profit des classes dirigeantes. C’est plutôt dans la décomposition de l’empire carolingien qu’il est permis de voir l’action encore inconsciente d’une impulsion « nationale. » Sans doute, c’est encore l’idée d’un empire universel qui apparait avec Otton Ier, et, au Xe siècle, il n’y a pas encore d’expression pour désigner les habitants allemands de l’empire germanique reconstitué. C’est en 1080 qu’il est question pour la première fois d’une teutonica patria. Avec Walther de Vogelweide (qui est d’ailleurs en avance sur son époque), l’idée de patrie se fait jour et lutte contre le caractère universel ecclésiastique qui avait survécu à la chute de l’empire. Mais, en somme, c’est au XVIe siècle seulement que s’accentue le sentiment de la « conscience nationale, » et Lamprecht estime que c’est la Réforme qui marque à cet égard la substitution, à « des conceptions intellectuelles soumises à des contraintes extérieures rigoureuses, de conceptions beaucoup plus libres. » Mais si elle ne marque pas, comme on l’a prétendu, le triomphe de l’individualisme, il faut reconnaître, en voyant l’effet qu’elle a eu sur le sentiment de la conscience nationale, que c’est une autre forme de cosmopolitisme qui se produit. L’idée de nation ne peut prendre son essor, elle reste vague et purement intellectuelle ; il faut le XIXe siècle pour la voir se réaliser.

À cette large et suggestive introduction succèdent d’excellents chapitres (remarquables surtout par la façon dont sont groupés les matériaux) sur la Germanie primitive, sur sa situation économique et sociale, sur le caractère et les mœurs des vieux Germains. Ces chapitres, où l’exposition est colorée (sans rien nous apprendre d’ailleurs de nouveau), ont été plus goûtés du grand public que des germanistes et des érudits auxquels certaines expressions ont fait hocher la tète. Ils sont propres du moins, en dépit de quelques incohérences, à piquer et soutenir l’attention du lecteur. Ils renferment des vues pénétrantes sur la manière dont les Germains se sont installés dans l’Europe centrale. Ils montrent aussi (p. 137 et suiv.) comment l’organisation économique se rattacha