Page:Revue historique - 1897 - tome 64.djvu/155

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aujourd’hui la nécessité d’un renouvellement dans la science de l’histoire, qu’on sent le besoin d’ouvrages conçus dans un esprit nouveau. En parcourant ces six volumes, on ne peut s’empêcher non plus de faire une autre réflexion. L’auteur, tout en marquant lui-même la différence qui existe entre les sciences historiques et les sciences biologiques, s’est laissé fortement influencer par les procédés et les méthodes de ces dernières. Il a été frappé de l’importance que les sciences naturelles ont prise de nos jours ; il veut évidemment que l’histoire suive dans ses progrès la même évolution qu’elles. « De même, dit-il dans la préface de sa seconde édition, que dans les sciences naturelles le temps de la méthode descriptive est passé, de même dans les sciences historiques on ne saurait se borner à des recherches purement historiques, il faut recourir à une nouvelle méthode qui nous montre comment la trame historique s’est formée, en partant des plus petites cellules de la vie, et cette nouvelle manière d’écrire l’histoire doit avoir pour conséquence de mettre en relief la marche même de la civilisation. Elle doit montrer l’importance respective des divers facteurs qui agissent le plus énergiquement sur l’individu : le climat, l’hérédité, l’éducation, l’état social, l’action de l’homme sur lui-même. »

Mais aux éloges dont on fut d’abord prodigue succédèrent bientôt quelques critiques. Le ton des comptes-rendus changea, surtout lorsque les érudits et les savants commencèrent à soumettre l’ouvrage à une critique autrement rigoureuse que celle dont s’étaient contentés les journalistes et les chroniqueurs, que le cachet original et les apparences de nouveauté du livre avaient séduits. Ils trouvèrent qu’en dépit de certaines prétentions beaucoup de parties étaient superficielles et manquaient de précision ; ils relevèrent un grand nombre d’expressions choquantes, de tournures bizarres révélant un certain manque de goût. On l’accusa de s’être débarrassé beaucoup trop brièvement de l’histoire politique, on trouva que les résumés qu’il en donnait manquaient de netteté ; et aujourd’hui les historiens de l’Allemagne, tout en rendant pleinement hommage à la grande valeur de l’homme, font unanimement sur son livre les plus expresses réserves.

Ne pouvant en donner une analyse complète, nous allons néanmoins, en parcourant quelques-uns des chapitres que nous avons lus avec le plus de soin, montrer quelle part peut être accordée à l’éloge et quelle part doit être réservée à la critique.

Le tome I me paraît encore jusqu’ici le meilleur. On lit avec plaisir la belle introduction par laquelle il débute et qui permet de se rendre compte de la façon dont l’auteur comprend l’histoire. Elle est propre aussi à montrer le courant d’idées personnelles qui vivifie l’exposition. Il s’y trouve de très belles pages sur l’histoire de la conscience nationale allemande, de ce sentiment national qui s’est développé avec tant de lenteur au cours des âges. Encore au siècle dernier, il était étouffé par un esprit de cosmopolitisme plus puissant, et on peut dire en définitive qu’il est une conséquence du travail scientifique du XIXe siècle.