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xviiie siècle. Le cas est d’autant plus singulier que Charles était beaucoup plus poète de profession, si l’on peut s’exprimer ainsi, que Jacques d’Écosse. Il avait vécu entouré de poètes ; il avait échangé maintes pièces de vers avec eux. Parmi ses œuvres figuraient les plus belles poésies que la France du xve siècle eût produites (après celles de Villon). Il meurt (1465), et tout aussitôt la lignée des poètes l’oublie ; les historiens sont muets sur ses mérites littéraires ; l’éclipsé est complète. À peine peut-on citer une vague allusion de Martin Lefranc (xve siècle) au « livre du bon duc d’Orléans. » Tous les ouvrages où se trouvent des listes des poètes français l’excluent. Octavien de Saint-Gelais, dans son Séjour d’honneur, consacre un long passage à nous faire connaître « les noms des poètes et philozophes. » Après les anciens, il cite Jean de Meung, « Dente Florentin » ;

Après luy fut en raenc d’honneur assis
François Petrac et le gentil Boccasse ;

puis viennent Alain Chartier, Jacques Milet, etc. Charles d’Orléans n’est pas nommé, et le fait est d’autant plus remarquable que Saint-Gelais, dans le même ouvrage, parle à diverses reprises de Louis d’Orléans, père du poète, et qu’il dédie son œuvre au roi Charles VIII, cousin de celui-ci.

À cet argument[1], M. Brown répond que cette omission n’est pas très surprenante, la liste de Saint-Gelais étant « cosmopolite. » Mais d’abord la liste de Dunbar n’est pas non plus strictement écossaise, puisqu’il y donne place à Chaucer, Gower et Lydgate ; ensuite, il serait facile de produire autant de listes purement françaises qu’on voudrait. Sans aller jusqu’à Boileau, qui cite Villon, mais omet Charles d’Orléans, on peut prendre, par exemple, le célèbre manifeste de Joachim du Bellay (1549), qui a précisément pour sujet la « Défense et illustration de la langue française. » Il y a le même intervalle de temps à peu près entre cet ouvrage et la mort de Charles qu’entre la Lament for the Makaris de Dunbar et la mort de Jacques Ier. Du Bellay cite Guillaume de Lorris, Jean de Meung, Marot, Heroët, Baïf, les romans de Lancelot et de Tristan, etc. ; mais il ignore Charles d’Orléans, qui eût pu lui fournir maints exemples à l’appui de ses dires ; il

  1. Voir ma lettre à l’Athenæum, 15 août 1896, et réponse de M. Brown, 29 août.