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III. — Témoignage des historiens et des poètes.

Voilà ce que le ms. de la Bodléienne peut nous apprendre. Son témoignage est-il corroboré ou contredit par les historiens de Jacques Ier ?

M. Brown insiste vivement sur un point qui semble en effet très singulier. Voilà un prince remarquable, qui a de tout temps attiré les regards, « Scotorum rex illustrissimus, » et cependant ses contemporains ne disent rien de son poème. Walter Bower, abbé d’Inchcolm, qui le connut personnellement et qui a fait de lui un portrait détaillé, le loue pour toute espèce de qualités ; il le félicite pour l’excellence de son tir à l’arc, pour sa légèreté à la course, sa compétence en musique, etc., etc., mais non pour la composition du Kingis Quair. Dunbar, plus tard, au commencement du xvie siècle, pleure dans un poème fameux la mort des poètes écossais d’antan, ces « makars » dont la nation est fière ; il en énumère vingt et un et ne dit mot de Jacques Ier. Lyndesay, vers la même époque, fait, dans ses œuvres, de nombreuses allusions aux anciens poètes écossais, mais aucune au roi Jacques. Enfin, ce qui n’est pas moins remarquable, Jacques VI, roi d’Écosse (Jacques Ier d’Angleterre, né en 1566), écrivit des vers, composa un traité sur la poésie écossaise et ne fit, lui non plus, aucune allusion au roi son ancêtre. Dans une question pareille, conclut M. Brown, « ce silence est sûrement beaucoup plus qu’un argument négatif » (p. 18).

À cela, bien des choses à répondre. D’abord, s’il fallait voir dans des silences de ce genre des arguments positifs contre l’authenticité d’œuvres littéraires, on serait obligé de tenir pour apocryphes bien d’autres œuvres que le Kingis Quair. On devrait mettre, par exemple, au compte de faussaires les œuvres de Charles d’Orléans, et je ne pense pas que personne en soit tenté. L’exemple offre un parallélisme complet. Charles d’Orléans, contemporain de Jacques Ier, comme lui et en même temps que lui prisonnier en Angleterre, était, lui aussi, un personnage des plus en vue. Chef du parti national, — Orléans-Armagnac contre Bourgogne, — petit-fils du roi Charles V, père du roi Louis XII, doué de tous les dons de l’esprit, musicien, artiste, habile en toute chose, le duc Charles, que nous connaissons aujourd’hui surtout pour ses vers, demeura ignoré comme poète depuis sa mort jusqu’au