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des admirateurs et des éditeurs de ses œuvres, tels que Pynson (1526), Thynne (1532), Speght (1598), lui attribuèrent une foule de poèmes, soit anonymes, soit œuvres notoires de Lydgate, Hoccleve et Henryson. Rien de surprenant que des scribes écossais aient pris des libertés que des Anglais de nom ne se sont pas refusées.

Mais que les mêmes scribes, alors qu’il s’agit de leur propre pays, aillent attribuer un poème aussi important que le Kingis Quair à un roi qui, dans l’hypothèse de M. Brown, n’aurait jamais fait de vers, c’est certes bien autre chose ! En mettant au compte de Chaucer des poèmes qu’il n’a pas écrits, ils font ce que bien d’autres ont fait ; de plus, il ne s’agit pas de leur pays ; en outre, Chaucer était mort depuis près d’un siècle ; enfin, ils attribuent du moins ces poèmes à un poète. Pour le Kingis Quair, ils seraient allés chercher un prince de leur nation, qui n’aurait jamais rien écrit, personnage très connu toutefois, qui avait de tout temps attiré l’attention, qui vivait encore quelque cinquante ans avant eux, et ils l’auraient gratifié du don de poésie. C’est assurément peu vraisemblable. Notez que leur témoignage est double, car il y a un changement de mains au cours de la copie ; le premier scribe nous dit que le poème est l’œuvre de « King James of Scotland ye first, » et le second nous répète qu’il est de « Jacobus primus Scotorum rex illustrissimus. » Nous avons donc là deux témoignages au lieu d’un et qui se corroborent l’un l’autre.

À nos yeux, l’autorité du manuscrit de la Bodléienne reste donc très grande, et le raisonnement de M. Brown ne nous semble pas l’avoir sensiblement entamée. Un fait digne de remarque a d’ailleurs été mis en lumière par M. A. H. Millar. Bon nombre d’anciens propriétaires du ms. y ont inséré leur signature en divers endroits. Parmi ces signatures figure celle d’« Elezabeth Synclar ; » or, Élisabeth Keith, qui épousa en 1515 William lord Sinclair, était l’arrière-petite-fille de Jacques Ier[1]. Plusieurs Sinclair ont également inscrit leur nom dans le ms. : le recueil se trouvait donc, peu après sa naissance, en bonne compagnie et dans un milieu où l’on n’eût pas sans doute accepté volontiers l’œuvre de n’importe quel faussaire pour celle du roi Jacques.

  1. Lettres de M. A. H. Millar à l’Athenæum, 11 juillet, 1er et 15 août 1896.