Page:Revue historique - 1897 - tome 64.djvu/12

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il fait observer que le recueil de poésies contenu dans le ms. renferme plusieurs attributions fausses : « Sur douze poèmes, dit-il, [avec noms d’auteurs], cinq sont attribués avec raison à Chaucer et cinq faussement ; » les deux autres sont le « Cabier du Roi » et un poème dont l’attribution n’a pu être lue avec certitude[1]. De cette constatation, M. Brown conclut que le ms. est sans valeur (« practically untrustworthy ») pour la solution du problème qui nous occupe ; les copistes à qui on le doit étaient gens peu soigneux ; on ne peut faire aucun fonds sur leur témoignage en faveur du roi Jacques ; « voilà ce que nous avons à dire pour le ms.[2]. »

À cela il y a lieu de répondre, d’abord que ce genre de raisonnement peut diminuer mais non détruire l’autorité du ms. ; car si les scribes ont eu tort cinq fois, ils ont eu raison cinq fois, si bien qu’à ne considérer que ce seul argument Jacques aurait encore cinq chances sur dix en sa faveur.

Mais le roi a, en réalité, bien plus de chances pour lui que la simple arithmétique ne montre. Le cas de Chaucer et le cas de Jacques Ier sont tout à fait différents ; conclure d’une fausse attribution à Chaucer à une fausse attribution à Jacques, c’est mettre sur le même pied des personnages et des situations qui n’ont guère de rapports. Chaucer avait une réputation immense, non seulement comme auteur des Canterbury Tales, mais aussi de quantité de « ballades, rondeaux et virelais, » de quantité d’« hymnes, » dont « le pays était rempli, » et qui sont bien loin de nous être tous parvenus. On ne prête qu’aux riches, et Chaucer l’était ; rien de surprenant qu’un faiseur de recueils, un étranger, lui ait attribué divers poèmes un peu au hasard. On a vu depuis les collectionneurs de peintures remplir leurs galeries de « Raphaels » par le même procédé facile[3]. Le cas n’est pas sans exemple dans la patrie même de Chaucer, où non pas de simples scribes, mais

  1. Il paraît s’agir de l’Écossais Auchinleck, mentionné par Dunbar dans sa Lament for the Makaris (Brown, p. 76).
  2. « The many false ascriptions show the scribes to have been most reckless, and prove them without doubt to be unreliable, if not altogether incredible witnesses for King James, » p. 9.
  3. Observez que les auteurs de notre recueil avaient si bien Chaucer en tête qu’ils ne nomment que lui ; toutes leurs attributions, vraies ou fausses, ont Chaucer pour objet, sauf lorsqu’il s’agit de l’Écosse ; ils nomment alors Jacques Ier et (probablement) Auchinleck.