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On garda 2,000 écus sur les 10,000 payés par Bouteiller pour sa rançon. On ne déduisit pas la valeur de la « grant croix de Berry, » 40,000 écus, mais on garda la croix. On accepta pour 4,000 écus seulement la « petite croix aux émeraudes, » laquelle avait été estimée 15,000 par expertise.

Si excessives qu’elles fussent, de telles précautions auraient pu être légitimées par l’élargissement immédiat du prisonnier. Il n’en fut rien. Les Anglais semblent n’avoir pu se résoudre à laisser s’en aller ainsi un homme dont la présence leur était précieuse à tant de titres. Trente-deux années durant, Clarence ou les siens avaient trouvé un supplément d’aisance dans la rente que leur servait le prisonnier. Le départ du comte apportait trop de changement aux habitudes et aux ressources de la famille pour qu’elle n’en conçût pas d’aigreur. Il paraissait presque inconvenant que la fortune d’Angoulême ne continuât point, pour l’avenir, les bons offices auxquels on s’était si bien accoutumé dans le passé. Et on exigea, — ce fut le coup de grâce, — qu’avant de quitter ses maîtres, le comte se reconnût leur débiteur pour 90,844 écus[1] !…

On jugera ce qu’il y avait d’impudente fantaisie dans un pareil chiffre, si l’on songe qu’au mois de décembre 1430, ou à peu près, les princes d’Orléans ne devaient plus aux héritiers de Clarence, de l’aveu même de sa veuve, que 64,780 écus[2]. Depuis lors, plusieurs paiements importants avaient été faits, notamment 10,000 salus pour le prisonnier de Guy de Rochechouart, 8,000 salus pour la rançon de Guillaume le Bouteiller, 1,000 pour celle du bâtard de Somerset, soit 19,000 salus à retrancher de 64,680 écus. Cela réduisait la dette à 45,680 écus. C’était donc la doubler qu’en demander 90,844. — D’autre part, si l’on calcule que 60,000 écus avaient été extorqués en 1412, puis 40,000 autres, montant de la « grant croix de Berry, » enfin 11,000 sur « la croix aux émeraudes, » le second total des sommes frauduleusement demandées ou gardées s’élèvera jusqu’à 111,000 écus. — Ajoutons à ce chiffre celui de 40,000 écus, qui équivaut au prix des joyaux perdus par la faute de la duchesse de Clarence en 1422, et nous trouverons que 196,164 écus, près de 200,000, furent arrachés à tort au duc d’Orléans et aux siens ou gaspillés par les maîtres du comte d’Angoulême.

Ce n’est pas tout : il convient encore de tenir compte des 2,000 écus payés par Bouteiller, de l’argent qui valut leur liberté aux otages, de

  1. Brit. Mus., Addit. chart. 3997. — Arch. nat., J. 919, 26, fol. 15 vo et suiv.
  2. Arch. nat., K. 59, no  4, fol. 4 ro : « Reste qu’il est encore deu à Mme de Clarence, à cause de son mary, LXIIIIm VIIc IIIIxx X escuz. »