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taient ? Quelle surveillance exerçait-on sur eux ? Nous voudrions le savoir et si on leur témoignait moins de défiance qu’aux envoyés reçus par Charles d’Orléans, lesquels étaient déshabillés et minutieusement fouillés. Dunois avait imaginé, et la ruse ne fut jamais éventée, de fixer sous la queue d’un chien barbet la correspondance destinée au prisonnier. L’animal, sur sa bonne mine, n’était pas fouillé[1].

Le comte, dans cette demi-solitude, put-il toujours écarter l’ennui de sa prison ? Il y a peu d’apparence qu’il ait réussi. Ses mouvements et ses pensées étaient épiés. Il se voyait entouré de solides gardiens quand on lui permettait de sortir pour la promenade. Chez lui, il s’interdisait de toucher aux dés et aux cartes. Et il distrayait, sans les remplir, les longs loisirs qu’on lui faisait par la musique, l’étude, les exercices de piété.

Il trouvait d’abord une douceur pénétrante aux sons de la harpe, qui le divertissaient de son souci[2]. — Puis les livres lui étaient un autre refuge contre la Fortune. Il acheva de 1412 à 1416 son éducation littéraire. Eudes de Fouilloy put, jusqu’à sa mort, lui continuer[3] ses leçons, encore qu’il fît outre Manche de nombreux voyages[4]. Jean eut aussi, sans doute, d’autres maîtres quand il mit son exil à profit pour apprendre l’anglais[5]. Il étudia de fort près l’intéressante Poétique de Geoffroy de Vinesauf[6]. Surtout, il goûta, dans la saveur originale du texte, les contes de Canterbury, du célèbre Chaucer. Il les fit copier par un scribe. Lui-même dressa une table, que nous avons conservée, pour retrouver plus vite, en leur lieu, les fins portraits du marchand, du marin, du cuisinier, du meunier ; le visage souriant et la grâce aimable de la prieure, la bonhomie gaillarde et folâtre du frère quêteur. Malgré ce travail nouveau, l’influence de son premier précepteur semble avoir persisté longtemps sur Angoulême. Fouilloy exhortait son élève à prendre soin de son âme comme de son esprit. Il lui avait dédié un ouvrage de morale,

  1. Cf. Maulde, op. cit., I, p. 44, n. 2.
  2. J. Du Port, op. cit., p. 41.
  3. E. Du Fouilloy était maître d’école de Jean le 20 juin 1408. Bibl. nat., fr. 6210. — Joursanvault 334.
  4. Brit. Mus., Addit. chart. 61, 62 (signature originale), 257, 274, 3497. — Arch. nat., K. 64, 377b, 8, 9. — Laborde, Preuves des ducs de Bourgogne, citées, III, 6231. — Rymer, t. IV, part iii, p. 46.
  5. Bibl. nat., ms. angl. 39, fol. a (garde du plat supérieur).
  6. Le comte copia in-extenso cette poétique et l’annota. Bibl. nat., ms. lat. 8174, fol. 1 ro-37 vo (Geoffroy « Vino-Salvo » est un poète anglais du xiiie siècle. Sa poétrie a 2,000 vers. Cf. Leyser, Hist. poetarum medii aevi. Halae-Magdeb, 1741, p. 855).