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III. — Si les marchands agglomérés autour des castra ont acquis, au cours du xie siècle, un certain nombre de caractères propres qui, de plus en plus, les distinguent du gros de la population, ils sont pourtant bien loin encore de former une commune. En réalité, il n’y a pas plus de villes alors, dans le sens juridique du mot, qu’il n’y en avait à l’époque carolingienne. Territorialement, le sol urbain est toujours réparti en districts distincts, relevant en partie du droit domanial, en partie du droit public. La population continue à former des groupes indépendants les uns des autres : servientes ecclésiastiques, milites, ministeriales, censuales, dayescalci, etc. À côté de ces groupes plus anciens, un groupe nouveau s’est formé, celui des mercatores, avec des tendances et des besoins nouveaux qui transformeront, à la longue, la condition des hommes et des terres et, à la place du morcellement primitif, mettront la forte et solide unité de la commune et du droit municipal.

Il importe de rechercher maintenant comment s’est formé ce droit municipal. C’est un fait bien connu qu’il n’a pas été créé de toutes pièces par les chartes octroyées aux villes, qu’il est plus vieux qu’elles, et qu’il y faut voir le produit d’une lente évolution. De cette évolution il est possible, semble-t-il, de marquer les étapes principales et de montrer comment, sous l’action de causes partout les mêmes, s’accomplit partout un développement identique.

Le jus mercatorum, nous l’avons vu, est le droit d’un groupe d’hommes. C’est une coutume personnelle, applicable à tous les marchands, où qu’ils soient et où qu’ils habitent, dans les villes ou en dehors des villes. À ce point de vue, par conséquent, ce droit n’a rien d’urbain. Il n’est pas fixé au sol de la ville. Toutefois, et de très bonne heure, il commence à s’incorporer à lui. La synonymie qui s’établit entre les mots mercator et burgensis est une preuve évidente de ce grand fait[1]. Les plus anciens exemples de cette synonymie remontant au début du xie siècle, on peut conclure de là que, dès cette époque, le jus mercatorum a revêtu un caractère local, que, de la personne des marchands, il tend à se transporter à la terre qu’ils habitent.

Comment cette transformation s’est-elle faite ? Comment, peu à peu, le droit des marchands est-il devenu le droit des bourgeois ?

Rappelons-nous tout d’abord ce que nous avons dit de la condition des marchands dans la ville. En tant que marchands, ils sont placés sous la juridiction publique, mais bon nombre d’entre eux, en vertu de leur qualité originaire de non-libres, continuent à relever, en même temps, des juridictions domaniales. Les serfs qui, abandonnant

  1. Voyez plus haut, p. 74, n. 2.