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a été considérable. L’association a donné aux marchands la force dont ils avaient besoin pour transformer à leur avantage la civilisation de l’époque et pour créer les villes. Elle leur a servi d’instrument d’affranchissement et de progrès[1]. Mais ce serait une erreur de la considérer comme le moule dans lequel ont été coulées les constitutions urbaines.

Nous nous en apercevrons bien vite, si nous étudions un fait d’une importance considérable et dont il est temps de dire un mot : l’élaboration d’un jus mercatorum, d’un droit commun des marchands[2]. Ce droit, qu’il faut considérer, ainsi qu’on essayera de le démontrer plus loin, comme une des sources du droit urbain, ne provient pas de la gilde. Elle a pu aider à le répandre et à le maintenir, mais elle ne l’a pas créé.

Les premiers documents qui parlent d’un droit propre aux marchands datent du xie siècle. Ils en parlent comme d’une chose déjà ancienne, existant depuis des temps reculés (ab antiquis temporibus[3]). Malheureusement, ils ne disent pas en quoi ce droit consistait. Ils se bornent à mentionner les judicia mercatoribus concessa[4], sans nous apprendre ce qu’il faut entendre par là. Par bonheur, il n’est pas très difficile de le deviner. Il est clair en effet que, du jour où l’activité économique s’est réveillée en Europe, il a dû naturellement se former une sorte de coutume des marchands. Comme depuis la fin de l’époque carolingienne il n’y avait plus de lois écrites, les tribunaux, libres des freins qu’eût pu leur imposer un système de lois codifiées, ont sans doute, peu à peu, élaboré une jurisprudence nouvelle en matière commerciale. Le vieux droit, approprié aux besoins d’une civilisation tout agricole, s’est transformé à mesure qu’il a eu à trancher de nouvelles questions inconnues jusque-là[5]. Les modes traditionnels du prêt, du gage, de la saisie ne suffisaient plus. La procédure formaliste et compliquée, avec ses délais et ses lenteurs, a dû faire place à une procédure plus simple et plus expéditive, quand il s’est agi de

  1. Doren, op. cit., p. 190.
  2. Inama-Sternegg, Wirthschaftsgeschichte, II, p. 96. — Gothein, Wirthschaftsgeshichte des Schwarzwaldes, I, p. 93. — Waitz, Verfassungsgeschichte, V, p. 396 et suiv. (éd. Zeumer).
  3. Voyez les textes réunis dans Waitz (éd. Zeumer, loc. cit.) ; Add., Schulte, loc. cit. Ce droit des marchands apparaît déjà à l’époque carolingienne. Waitz, op. cit., IV, p. 45. Cf. plus haut, p. 71.
  4. Schulte, loc. cit., p. 168.
  5. Alpert, De diversitate temporum. Mon. Germ. Hist. Script., IV, p. 718, dit des marchands de Tiel : judicia non secundum legem, sed secundum voluntatem decernentes et hoc ab imperatore karta traditum et confirmatum dicunt.