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D’autre part, à partir du xiie siècle, les gildes reçoivent en grand nombre des privilèges commerciaux[1]. Or, le privilège conduit fatalement à l’exclusivisme. En France comme en Allemagne, la même cause produit le même effet. En vertu d’une évolution identique, dans les deux pays, l’égalité primitive fait place au protectionnisme et au monopole. Le même esprit anime les marchands de l’eau de Paris et de Rouen[2] et les Gewandschneider de Magdebourg et de Brunswick. À Bayonne comme à Cologne, la vente du vin est un droit réservé aux seuls patriciens[3]. Dès lors, les gildes et les hanses acquièrent fréquemment une juridiction plus ou moins complète en matière économique. Elles dominent, dans beaucoup de villes, le marché local. Elles exercent un contrôle perpétuel sur certaines industries. La grande industrie particulièrement, c’est-à-dire, au moyen âge, l’industrie textile, est placée sous leur surveillance. Tisserands et foulons travaillent la laine que leur distribuent les grands marchands. Simples salariés au service des capitalistes, leur activité sera désormais nécessairement réglée par ceux-ci. Nulle part ce nouvel état de choses ne s’est manifesté plus clairement et plus logiquement que dans les grandes villes industrielles du Brabant, à Bruxelles, à Malines et à Louvain[4]. Là, tous les métiers de la laine sont étroitement subordonnés à la gilde, à laquelle le conseil abandonne le droit de faire tous les règlements relatifs à la vente et à la fabrication du drap. Mais cette réglementation n’est pas un fait primitif. Elle n’est que la conséquence du privilège et de la division du travail qui a opéré, à la longue, le divorce de l’industrie et du commerce. Elle n’existait pas à l’origine. On n’en trouve nulle trace dans les plus anciens statuts de gildes que nous avons conservés : il n’est question, dans ces textes, que de protection et de défense mutuelles. Encore une fois, ce qui fait le caractère essentiel de la gilde primitive, c’est qu’elle est une corporation volontaire de mercatores. En droit, son influence sur le développement des institutions municipales a été nulle. En fait, au contraire, cette influence

  1. Voyez déjà l’article 5 de la charte de Saint-Omer de 1127. Giry, Saint-Omer, p. 372. Cf. Taillar, Recueil d’actes en langue romane wallonne du nord de la France, p. 24.
  2. Cf. les marchands de la rivière de Deule à Lille ; les marchands de la Somme à Rouen.
  3. Il faut remarquer que, du jour où le commerce ne se fait plus par caravane, où la sécurité est assurée sur les routes, où les villes concluent entre elles et avec les princes des traités de commerce et d’entre-cours, l’association de défense mutuelle conclue au début par les mercatores perd toute utilité, et que la gilde se transforme d’elle-même en une société de grands marchands.
  4. Vander Linden, Hist. de Louvain, p. 41 et suiv. — Add., Bull. de la Comm. roy. d’histoire, 5e série, t. II, p. 517, et ibid., t. III, p. 54.