Page:Revue historique - 1895 - tome 57.djvu/92

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Or, une caravane ne peut se passer d’une certaine discipline et de certaines règles. Elle doit se donner des chefs. Ses membres contractent, vis-à-vis les uns des autres, des engagements solennels[1]. Se protéger mutuellement en cas de danger, résister ensemble aux pillards que l’on rencontre embusqués le long des grandes routes, ce n’est pas tout. Il faut qu’en toute occurrence le compagnon puisse compter sur l’appui matériel ou moral de ses compagnons. Que son chariot vienne à se briser en traversant des fondrières, qu’entraînée par le courant sa barque s’enlise sur un bas-fond, qu’il soit cité en justice et ait besoin de cojurateurs, que dans une ville étrangère il tombe malade, bref, dans les mille incidents qui peuvent surgir au sein de sa vie errante, le marchand ne fait pas en vain appel à ses frères. Naturellement aussi il n’est pas exposé pendant les foires, lors de ses transactions commerciales, à les voir se liguer contre lui pour lui enlever ses clients ou l’empêcher de réaliser une affaire avantageuse.

Salutaire au dehors, l’association ne l’est pas moins au dedans. Rentrés chez eux, les marchands ne rejettent pas les obligations qu’ils ont volontairement contractées pendant leurs courses lointaines. L’identité du genre de vie et des intérêts continue à les maintenir unis et solidaires les uns des autres.

Dès le xie siècle au plus tard, il existe des associations permanentes de mercatores. La reconnaissance officielle de la gilde de Saint-Omer par le châtelain Wulfric Rabel[2] (1072-1083) n’est certainement pas un fait isolé. Le groupement des marchands est un phénomène si naturel, dans un état social organisé comme celui du moyen âge, que l’on ne doit pas craindre de se tromper en affirmant qu’il s’est effectué partout et de très bonne heure.

L’association marchande est, par nature, une association volontaire. Nul ne peut être contraint d’en faire partie, et elle diffère essentiellement par là des futures corporations de métiers. Il est évident toutefois que cette association, gilde, hanse ou confrérie, a dû com-

  1. Flach, op. cit., II, p. 564, n. 1, cite une phrase du général Daumas qui permet un rapprochement instructif entre les caravanes actuelles des Arabes du désert et celles du moyen âge.
  2. Les statuts les plus anciens de la gilde de Saint-Omer, dans leur forme actuelle (éd. Hermansart, Mém. de la Soc. des antiquaires de la Morinie, XVII, p. 5 ; Gross, The gild merchant, p. 290 et suiv.), ne remontent certainement pas au xie siècle. Mais les mots : sic enim definitum fuit tempore Gulurici Rabel castellani ac divisum inter Guluricum et burgenses, qu’on lit au paragraphe traitant des attributions disciplinaires des doyens de la gilde, prouvent à l’évidence que celle-ci était déjà complètement organisée à cette époque.