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Rien n’a encore été fixé à cet égard. Tandis que le droit domanial pèse de tout son poids sur certaines tenures, d’autres, plus favorablement situées, ne sont soumises qu’à un cens héréditaire. La multiplicité des seigneuries et des districts, que nous avons constatée plus haut en étudiant les villes de l’âge agricole, exerce ici son influence. La notion de la libre tenure urbaine ne se dégagera qu’à la longue[1]. Elle fait complètement défaut à l’origine. La première prise de possession du sol par les marchands s’est effectuée, dans les villes anciennes, suivant les formes de l’ancien droit.

Si la plus grande variété règne, au début, dans la condition des terres du faubourg commercial, il en est de même dans la condition de ses habitants. Sous le nom générique de marchand, de mercator, on comprend en effet, dans la langue de l’époque, des hommes vivant dans des situations très différentes. On applique ce mot à toute personne faisant profession de vendre et d’acheter[2], de sorte que l’artisan et le colporteur sont des marchands au même titre que le négociant en gros. La langue du temps ne fait pas de différence entre le propriétaire de bateaux qui navigue sur les eaux du Rhin, de la Seine ou de l’Escaut, avec de lourdes cargaisons de blés ou de vins, et l’humble porte-balle qui, conduisant un âne chargé de sa pacotille, va débiter ses denrées de villa en villa. Incontestablement, dès le xie siècle, la population commerçante des villes présente de violents contrastes. De grandes fortunes s’y sont constituées[3] ; on y trouve de riches parvenus qui donnent leurs filles en mariage à des chevaliers[4]. Il se forme tout de suite une classe de meliores, de divites, ancêtres du patriciat urbain[5]. À côté de ces privilégiés du sort, la masse des immigrants se compose d’artisans ou de petits commer-

    la ville est in fundo S. Vedasti, mais on distingue le comitatus id est justicia castellam tam in urbe quam in suburbio, le districtus vel justicia S. Vedasti scilicet in abbatia, in coteria, in creonaria, in pratis et in pomeriis, et le districtus episcopi. Guiman, Cartulaire de Saint-Vaast d’Arras (éd. Van Drival), p. 179, 180, 194, 221, 239.

  1. Dans les villes neuves, naturellement, la libre tenure apparaît dès l’origine. On la rencontre déjà dans la charte de Radolfzell. Schulte, loc. cit., p. 141.
  2. Waitz, op. cit., p. 402 et suiv. (éd. Zeumer). — Gross, Gild merchant, I, p. 107. Les artisans sont des mercatores au même titre que les marchands proprement dits (cf. p. 75, n. 6 ; von Below, Ursprung, p. 46). De très bonne heure, on voit des artisans posséder en ville des fonds de terre, privilège que M. Sohm réserve à tort aux seuls marchands. Add. Inama-Sternegg, op. cit., II, p. 318, n. 5.
  3. Voyez plus haut, p. 75, n. 6.
  4. Flach, op. cit., p. 370. Galbert de Bruges, p. 60.
  5. Waitz, op. cit., V, p. 409 et suiv. (éd. Zeumer).