Page:Revue historique - 1895 - tome 57.djvu/84

Cette page a été validée par deux contributeurs.

trouvaient un abri contre les pillards du dehors. À mesure que la tranquillité se rétablit, que le nombre des marchands augmente, ces agglomérations deviennent plus nombreuses et plus importantes. Partout où les conditions sont favorables, une urbs nova, un suburbium, un faubourg commercial, se forme à côté du château et des immunités dont l’ensemble constitue la ville de l’âge agricole[1]. Et, ce qui prouve bien que ce faubourg, point de départ de la ville nouvelle, a une population marchande, c’est la synonymie, dans la langue du temps, des mots mercator et burgensis[2]. Ainsi, c’est de marchands que se compose la bourgeoisie primitive. Elle ne provient pas de ces servientes, de ces milites, de ces ministeriales fixés depuis des siècles autour des cathédrales et des abbayes ; il n’en faut pas non plus chercher l’origine dans ces censuales qui, dans nombre d’anciennes cités, se trouvent placés sous le pouvoir des fonctionnaires publics ou des avoués. Elle constitue essentiellement et avant tout une classe sociale. Elle se compose d’advenae libres ou non libres, d’hommes qui, abandonnant le travail de la terre, viennent de plus en plus nombreux demander au commerce et à l’industrie de nouveaux moyens d’existence[3]. La condition juridique qu’elle a fini par obtenir n’est que la

  1. Sur la formation des suburbia, voyez particulièrement Flach, op. cit., liv. III, ch. iv. Pour la Flandre, on trouve des renseignements intéressants dans Galbert. Cf. le plan annexé à l’édition de ce chroniqueur par H. Pirenne. À Gand, à Bruges, à Furnes, etc., on distingue un novus burgus à côté de la vieille ville. À Strasbourg, il y a la nova urbs à côté de la vetus urbs (Stadtrecht, § 58). — Pour Worms et Mayence, cf. Kœhne, op. cit., p. 91. Pour Beauvais, Labande, Hist. de Béarnais, p. 33. Pour la Rochelle, Giry, Établ., I, p. 61. À Utrecht, l’agglomération nouvelle porte le nom de Statte (Stad). Van den Berg, Oorkondenboek van Holland, I, no  113. Cf. De Geer, Het oude Trecht.
  2. Maurer, Stadtverfassung, I, p. 322. Hegel, Neues Archiv, XVIII, p. 219. Waitz, op. cit., V, p. 357, 360, n. 1. Von Below, Stadtgemeinde, p. 30. Varges, op. cit., p. 172 et 206. Il est évident qu’il ne faut pas conclure, de la synonymie entre les mots mercator et burgensis, qu’au xe et au xie siècle, tous les bourgeois soient marchands de profession. Elle indique seulement que la bourgeoisie, dans son ensemble, forme une classe d’hommes vivant essentiellement de commerce et d’industrie.
  3. Les premiers marchands établis à demeure dans les villes sont certainement des immigrés (cf. p. 70, n. 1). La preuve en est qu’on les rencontre régulièrement dans la nova urbs (cf. n. 1). Au xie siècle, ils sont encore parfois considérés comme étrangers au reste de la population. Voyez des textes caractéristiques dans Thietmar de Mersebourg, III, 1, et VI, 16. D’ailleurs, de très bonne heure, leur exemple a dû être contagieux, et un nombre de plus en plus grand d’anciens habitants ont dû chercher eux aussi à gagner leur vie par l’exercice du commerce et de l’industrie. C’est ainsi qu’il faut, semble-t-il, expliquer l’existence des clercs marchands et des marchands non libres. L’opinion de Nitzsch (Ministerialität und Bürgerthum), qui voit dans les marchands ministériels des grands domaines (Scararii, etc.) les ancêtres des