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ditions régulières de l’existence. Ils ne font partie d’aucune familia ; ils échappent au pouvoir des seniores, et partant ils ne jouissent pas non plus de leur protection constante et effective. Et cependant personne, plus que ces voyageurs perpétuels, n’a besoin de sécurité. C’est le pouvoir public qui se chargera de la leur garantir, car il a intérêt à ne pas les laisser disparaître. Dans son État agricole, l’empereur cherche à maintenir une certaine circulation des biens, dont les agents soient directement rattachés à sa personne. La politique de Charlemagne vis-à-vis des marchands ressemble de très près à celle que les princes ont adoptée plus tard vis-à-vis des Juifs : il les protège et il les exploite. Chaque année, au mois de mai, les marchands doivent se rendre au palais et verser dans la cassette impériale des taxes proportionnées au montant de leurs bénéfices[1]. En retour, l’État veille sur leurs personnes et sur leurs biens[2]. Il leur accorde des privilèges en matière de juridiction[3], les recommande spécialement à la vigilance de ses fonctionnaires. En leur faveur, il prend des mesures pour le bon entretien des ponts, des quais et des marchés. Il règle la perception des tonlieux et abolit les péages illicites.

Cette législation faite dans l’intérêt des marchands ne dure qu’aussi longtemps que se maintient l’autorité de l’empereur. On observe que, déjà sous le règne de Charles le Chauve, elle n’est plus guère respectée[4] Elle disparaît tout à fait quand les pouvoirs publics se transforment en justices seigneuriales. Le tonlieu n’est plus désormais qu’un instrument d’oppression[5]. Les routes sont infestées de brigands. Une insécurité absolue a remplacé le bon ordre de jadis[6]. Qu’on ajoute à cela les guerres civiles incessantes, les embouchures des grands fleuves fermées par les Normands, les incursions des Hongrois, et l’on comprendra facilement quel a dû être l’état du commerce à la fin du ixe siècle. Mais l’ordre ne tarde pas à se rétablir. En Allemagne, les empereurs de la maison de Saxe reviennent à la tradition carolingienne et prennent les marchands sous leur protec-

  1. Waitz, op. cit., IV, p. 45, n. 1.
  2. Waitz, op. cit., p. 44 et suiv. — Flach, op. cit., p. 367 et suiv. — Rathgen, Die Entstehung der Märkte in Deutschland, p. 12 et suiv.
  3. Voyez Formulae imperii, 30, éd. Zeumer.
  4. Edictum Pistense.
  5. Déjà Louis le Pieux interdit les nova telonea ubi vel funes tenduntur vel cum navibus sub pontibus transitur seu et his similia, in quibus nullum adjutorium itinerantibus praestatur. Boretius, Capitularia, I, p. 124. Ces dernières paroles sont caractéristiques. Elles s’appliquent parfaitement au tonlieu féodal, qui n’est plus qu’une exaction.
  6. Flach, op. cit., p. 374, n. 1 : 424, n. 1.