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routes qu’aient connues les hommes du moyen âge, par là encore elles étaient destinées à devenir les premiers foyers de la vie municipale. Le commerce s’était jadis naturellement porté vers elles, et il reprend maintenant son ancienne direction. Les cités qui, du ixe au xie siècle, n’avaient guère été que le centre de grands domaines ecclésiastiques, par une transformation rapide et inévitable, vont récupérer leur caractère primitif qu’elles avaient perdu depuis si longtemps[1].

Du reste, les civitates et les oppida antérieurs à la destruction de l’Empire, s’ils comprennent la partie la plus nombreuse des premières villes du moyen âge, n’en comprennent pas la totalité. Dans le nord de la Gaule, faiblement colonisé par les Romains, aux embouchures de la Meuse et de l’Escaut, sur la rive droite du Rhin, certaines localités favorablement situées ont ressenti, elles aussi, et de très bonne heure, l’influence salutaire du commerce. Valenciennes, Ypres, Gand, Bruges, Hambourg et Magdebourg deviennent des villes en même temps que le redeviennent Cologne, Worms, Spire, Laon, Soissons et Beauvais. Ainsi, partout et pour les mêmes causes, la vie urbaine reparaît en Europe. Et ce n’est pas de l’origine romaine ou non romaine des villes qu’il faut tenir compte pour expliquer ce grand fait, mais uniquement de leur situation géographique[2].

Des considérations qui précèdent, le lecteur aura déjà tiré la conclusion. Les villes sont l’œuvre des marchands ; elles n’existent que

  1. La ville, au sens propre du mot, n’existe que quand elle renferme une population marchande. Les gens du moyen âge ne s’y trompaient pas. Au xie siècle, l’évêque Rudiger attire des juifs (c’est-à-dire des marchands) à Spire, pour élever celle-ci au rang de ville : Cum ex Spirensi villa urbem facerem, putavi millies amplificare honorem loci si et Judaeos colligerem. Arnold, Freitstädte, I, p. 73.
  2. Il faut naturellement tenir compte aussi des efforts faits par les seigneurs pour attirer le commerce vers leurs villes, soit par des privilèges (étape), soit par la construction de routes, de ponts, etc. Voyez, à ce point de vue, un texte très intéressant dans Willems, Brabantsche Yeesten. Cod. dipl., p. 618. Add. Gengler, Stadtrechte, p. 169, 467. Du reste, ces efforts n’ont réussi que quand la position géographique de la ville était favorable. On savait d’ailleurs reconnaître les bons emplacements, et, à cet égard, le texte suivant de l’Annalista Saxo (cité par Waitz, VII, p. 375, n.) est fort instructif : Aulicam villam… sede episcopatus dignam judicavit… tum propter confluam negotiandi commoditatem, quippe cum naves Fresie de Wisara per Leinam ascendentes eumdem locum locupletare, publicus etiam visitatissimusque viarum transitus celeberrimum possint reddere. Il est intéressant de constater que les textes ne désignent pas les villes marchandes des premiers siècles du moyen âge par le mot mercatus, mais par le mot emporium ou par le mot portus. La ville n’est pas un marché, mais un endroit de commerce, un Handelsort. Voyez, sur ceci, Varges, Zur Entstehung der deutschen Stadtverfassung, p. 195 et suiv. (Jahrbücher für Nationalœkonomie und Statistik, 1893).