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le mercatus annalis, dans des villages sans importance et manque, d’autre part, à beaucoup de villes. Sans doute, à partir du jour où la vie municipale est complètement développée, il n’y a plus de ville qui n’ait son marché de semaine. Un tel marché est indispensable, en effet, à l’approvisionnement de l’agglomération urbaine[1]. C’est là que les paysans des alentours apportent les vivres nécessaires à la subsistance de la bourgeoisie. Mais, dans le plus grand nombre des cas, ces marchés ne remontent pas à une époque ancienne[2]. On ne prend de mesures pour l’approvisionnement d’une ville que quand cette ville existe déjà, et non pas quand elle n’est pas encore formée. Il n’est pas difficile de voir que beaucoup de villes, à l’époque où elles jouissent déjà d’une certaine importance et sont habitées par de nombreux marchands, ne possèdent pas encore de marchés. Il en est ainsi, par exemple, des villes flamandes, où les marchés du vendredi n’ont été établis qu’au cours du xiie siècle[3]. Il est vrai que, çà et là, des seigneurs ont essayé de fixer sur le marché leur appartenant une population de marchands[4] ; mais ces tentatives n’ont nulle part donné naissance à des villes, et il ne faut voir en elles que des essais intéressants, mais parfaitement artificiels, de colonisation.

Ainsi, on ne peut faire honneur de la création des villes du moyen âge, ni aux abbayes, ni aux châteaux, ni aux marchés. Les villes sont nées spontanément sous l’action des causes économiques qu’a suscitées en Europe la renaissance du commerce et de l’industrie. Pour comprendre comment elles se sont formées, il suffit de voir comment, de nos jours encore, elles se fondent dans les terres neuves de l’Amérique. C’est à certains endroits particulièrement bien situés, aux confluents, au fond des rades, le long des grands fleuves, qu’elles se sont établies tout d’abord. De lui-même, en effet, le courant économique

  1. Gengler, Deutsche Stadtrechtsalterthümer, p. 163.
  2. Il s’agit, bien entendu, seulement des marchés hebdomadaires établis pour l’alimentation de la ville. Dès l’époque carolingienne, plusieurs mercatus hebdomadales sont fondés en faveur d’abbayes, mais le but de ces fondations est alors purement fiscal. Rathgen, op. cit., p. 17 et suiv.
  3. Voyez entre autres la charte de Philippe d’Alsace établissant en 1187 un marché du vendredi à Poperinghe (Warnkœnig, Flandrische Staats und Rechtsgeschichte, II2, p. 105). Le comte décide que ce marché aura eamdem libertatem et justiciam quae in fora villae meae Yprae habetur. Ce sont les mêmes expressions dont l’abbé de Reichenau se sert dans la charte de Rodolfzell et desquelles M. Schulte (Zeitschrift für die Geschichte des Oberrheins, N. F., V) tire la conclusion que le droit urbain provient du droit de marché. Or Poperinghe était ville depuis quarante ans en 1187. Elle avait reçu, en effet, en 1147, la pax de Furnes et avait obtenu par là une constitution municipale (Warnkœnig, op. cit., II2, p. 102).
  4. C’est ce qui est arrivé, par exemple, à Rodolfzell et à Allensbach, qui ne sont autre chose que des villes neuves.