On considère volontiers comme la condition indispensable de la formation d’une ville, au moyen âge, l’existence antérieure d’un monastère ou d’un château. Plus récemment, on a attribué aux marchés la même importance. On peut se demander si cette manière de voir est bien justifiée et si ses partisans n’ont pas pris pour essentiel ce qui n’est qu’accessoire.
Sans doute, dans beaucoup de villes, à Saint-Omer, à Saint-Quentin, à Maestricht, à Arras, à Lille, on constate, dès une époque fort ancienne, la présence d’une abbaye. Mais cette abbaye ne peut être considérée comme le germe dont la ville est sortie. S’il en eût été ainsi, en effet, on se verrait forcé d’admettre que plus un monastère a été riche, puissant ou célèbre, plus rapide et plus hâtif a dû être, sous ses murailles, le développement d’une ville. Or, on constate précisément le contraire. Ni à Cluny, ni à Clairvaux, ni à Corvey, ni à Fulda, il ne s’est formé de villes proprement dites. Et cela se comprend facilement. Colonies de cénobites, c’est la solitude que recherchent les monastères. Stavelot et Malmedy, Prum et Saint-Hubert, ont été bâtis dans les déserts de l’Ardenne ; Luxeuil, Bobbio et Saint-Gall, au milieu des forêts. Plus tard, les abbayes cisterciennes recherchent les frais ombrages et le calme des belles campagnes. Ainsi, en règle générale, les établissements monastiques se fixent à l’écart des grandes routes du commerce. Loin d’attirer vers eux les bourgeoisies, ils s’en écartent, ils les fuient. Et, tout compte fait, le nombre est bien minime de ceux d’entre eux qui ont vu se former, à leurs côtés, une ville véritablement digne de ce nom.
Ce qui est vrai des monastères ne l’est pas moins des châteaux forts. Si les moines recherchent, pour leurs cloîtres, la solitude et les déserts, les féodaux se préoccupent, de leur côté, d’ériger leurs donjons dans les lieux les plus inaccessibles et par là les plus propres à la défense. Ce sont des considérations exclusivement militaires qui les guident dans le choix d’un emplacement. Quand Henri l’Oiseleur a construit, sur la frontière vende, les forts de l’Elbe et de la Saale, il n’a bien certainement pas songé à provoquer par là la formation de villes le long de ces rivières. Et aussi bien c’est seulement auprès de quelques-uns de ces forts, dont la situation s’est trouvée répondre aux besoins du commerce, que se sont groupées plus tard des agglomérations urbaines. De même, en Flandre, ni Bruges ni Gand ne doivent leur naissance aux châteaux que les comtes y ont établis au xe siècle. Toutes deux se sont formées naturellement grâce à la position admirable qu’elles occupaient : la première, au fond du golfe du Zwin ; la seconde, au confluent de la Lys et de l’Escaut. On peut d’ailleurs citer ici un curieux exemple pour montrer que les châteaux