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municipal. À aucun point de vue, la ville ne forme alors une unité. Elle est engagée en partie dans une centène, en partie dans un ou dans plusieurs grands domaines. Il peut même se faire qu’avec plusieurs villages voisins elle constitue une marche. Si la ville se distingue alors des villae du plat pays, c’est par des caractères non juridiques, par ses murs, par ses portes, par ses églises, par sa population plus dense et plus variée[1]. Il s’en faut encore de tout qu’elle ait acquis une personnalité distincte[2].

II. — Ainsi, on peut dire que, dans l’âge agricole du moyen âge, au sens juridique du mot, il n’a pas existé de villes. Pour qu’elles naissent, une grande transformation sociale est nécessaire.

En effet, du jour où se manifeste la renaissance du commerce et de l’industrie, où le sol cesse d’être le seul capital, où, la valeur de l’argent diminuant, on abandonne le système des échanges en nature, les vieux cadres dans lesquels la population s’est trouvée enfermée si longtemps se déforment, puis se brisent. Les castes disparaissent, le grand domaine perd de plus en plus son ancienne importance. On voit le servage de la glèbe s’atténuer lentement, des cens en argent remplacer les vieilles prestations foncières, le bail libre se faire place enfin à côté des tenures héréditaires. Sous une poussée irrésistible, l’un après l’autre, se rompent les liens qui, pendant tant de siècles, avaient attaché l’homme à la terre : le serf se transforme en homme libre. Or, la liberté va de pair avec un accroissement rapide de la population. Avec le xie siècle, s’ouvre pour l’Europe l’époque des grands défrichements. Partout se fondent, dans les sarts, de nouveaux villages ; en Allemagne, des paysans néerlandais viennent coloniser les frontières slaves. Mais c’est aux villes surtout que profite le nouvel état de choses. La formation d’agglomérations de marchands et d’artisans, en certains points géographiques particulièrement favorables au développement de la vie économique, est le premier symptôme de la crise salutaire que traverse alors la civilisation de l’Europe.

    de véritables vicomtes territoriaux. — Il est bon de faire aussi observer que les échevins mentionnés dans les villes par quelques textes du xe siècle ne sont pas des échevins urbains, mais des échevins de centène ou de comté rassemblés dans la ville comme chef-lieu de la circonscription judiciaire. La domus scabinatus construite à Bruges par Baudouin Bras-de-Fer n’était pas le siège de la juridiction urbaine, mais de la juridiction de la châtellenie.

  1. Encore cette population n’est-elle guère supérieure à celle d’un village de nos jours. M. Schmoller estime, pour le xe siècle, fort approximativement bien entendu, la population d’une civitas à 1,000 ou 1,500 habitants.
  2. Il est utile de remarquer que les fonctions des employés domaniaux ne sont pas plus restreintes à la ville que celles des fonctionnaires publics. De même que celles-ci s’étendent à toute une circonscription judiciaire, celles-là s’exercent sur tout le domaine dont la ville ou une partie de la ville est le centre.