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la richesse des Verdunois[1] ; il cite la negutiantium domus de Paris[2] et parle fréquemment de marchands juifs et syriens[3]. Il est manifeste que la Gaule se trouve encore, quand il écrit, en relations suivies avec l’Orient et que les ports de la Méditerranée n’ont pas alors perdu toute importance[4].

Toutefois, cet état de choses ne pouvait durer. La vie économique s’éteint, en Gaule, comme s’éteint la vie littéraire, faute d’aliments. On voit l’or se raréfier peu à peu, puis disparaître complètement[5]. Le système des échanges en nature tend à se substituer de plus en plus à celui de la circulation monétaire. Quand la Méditerranée est devenue un lac musulman, c’en est fait, et l’on entre alors décidément dans l’âge agricole du moyen âge. À l’époque carolingienne, l’argent atteint à la fois le maximum de sa valeur et le minimum de son emploi[6]. La terre est maintenant la seule richesse connue, et dès lors se propagent victorieusement le système seigneurial et la féodalité. En vertu d’une nécessité inéluctable, l’importance des grands domaines ne cesse d’augmenter. Autour d’eux ils absorbent rapidement la petite propriété, sans laquelle la liberté personnelle ne peut se maintenir.

L’État tente vainement de s’opposer à cette action dévorante. Une loi économique plus puissante que celles qu’il édicte paralyse ses efforts. À mesure qu’on avance, les ingenui se font de plus en plus rares, les servi deviennent de plus en plus nombreux. En pays germanique on constate le même phénomène qu’en pays roman : les marches sont absorbées par les seigneuries voisines[7]. Bien rares sont les vilains qui ont pu conserver alors leur indépendance. Partout, le servage est la règle. C’est au point que les sources emploient dans le même sens les mots servi et rustici[8]. Le temps n’est plus où Grégoire de Tours voyait entre la liberté et la non-liberté un contraste aussi éclatant qu’entre le blanc et le noir[9]. Du dagescalcus, de

  1. Grégoire de Tours, Hist. Franc., III, 34.
  2. Ibid., VI, 32.
  3. Ibid., IV, 35 ; V, 11 ; VIII, 1 ; X, 26. Gloria confess., 95. Cf. Longnon, Géographie de la Gaule au VIe siècle, p. 177. — Scheffer-Boichorst, Zur Geschichte der Syrer im Abendlande (Mittheilungen des Instituts für Oesterreichische Geschichtsforschung, VI).
  4. Grégoire de Tours, Hist. Franc., V, 5 ; VI, 2, 24 ; IX, 22. Vitae Patrum, 6. Gloria confess., 95.
  5. Prou, les Monnaies mérovingiennes, Préface, xi.
  6. Inama-Sternegg, Deutsche Wirthschaftsgeschichte, I, p. 461 et suiv.
  7. Inama-Sternegg, Die Ausbildung der grossen Grundherrschaften in Deutschland während der Karolingerzeit, p. 42 et suiv.
  8. Waitz, Verfassungsgeschichte, V (éd. Zeumer), p. 202, n. 2.
  9. Voy. une vision rapportée par Grégoire, Hist. Franc., III, 15.