Page:Revue historique - 1895 - tome 57.djvu/345

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sans y rien changer. Venant de lui, on ne les accepterait sans doute pas pour une preuve ; aussi ne les donnons-nous que pour ce qu’elles sont, des renseignements : « Comme tous les hommes marquants de cette époque, Pinet aîné a été, sa longue vie durant, en proie aux calomnies les plus haineuses. Mais celle-ci les dépasse toutes, en même temps qu’elle est la plus invraisemblable. Sa vie conjugale, qui a duré cinquante-huit ans, n’a jamais été attaquée, que je sache[1]. Marié en 1780 à Mlle Suzanne de Berthier, il a vécu avec elle jusqu’en 1838 et s’est toujours montré le modèle des époux. Sa tendresse et ses petits soins pour sa femme, ses regrets lorsqu’elle mourut, six ans avant lui, frisaient presque le ridicule aux yeux de ceux qui ne savaient pas à quel point ils étaient sincères. Il se fit accompagner d’elle dans tous les postes qu’il occupa, à l’Assemblée législative, à la Convention, aux Pyrénées, en Espagne ; le plus jeune de leurs enfants, mon beau-père, est né à Saint-Sébastien en 1794. Elle le suivit en exil, de 1816 à 1830, époque où ils rentrèrent en France entièrement ruinés, déshérités de tous les leurs, à charge à leurs enfants qui étaient eux-mêmes dans une gêne extrême. Sont-ce là, je vous le demande, les agissements d’un homme dont les passions sont assez violentes et désordonnées pour lui faire commettre un crime aussi monstrueux ? »

Nous répétons nos conclusions : le fait a tous les caractères d’une légende, d’un de ces nombreux mythes qui encombrent l’histoire de la Révolution. Mais, serait-il vrai, la culpabilité de Pinet n’est pas plus prouvée que celle de Cavaignac.

Cette étude, qu’il n’a pas dépendu de nous de faire plus courte ni moins aride, comporte un enseignement. Victimes de la rumeur publique, Cavaignac, en dépit de sa justification, et Pinet, qui ne s’est pas défendu, resteraient sous le coup d’une accusation infamante, si les présomptions les plus sérieuses ne les absolvaient. Mais ces présomptions, qui les connaît ? Ceux-là seuls qui ont pris la peine d’étudier ces deux hommes et leur prétendu crime : combien sont-ils ? Les autres, au hasard d’une lecture, apprendront, par exemple, d’un parent de Mlle de Labarrère que « la condition du déshonneur exista réellement et fut acceptée par une enfant au désespoir. » Un magistrat de la région leur dira, par contre, qu’« on n’a jamais ajouté foi à ce récit des ennemis de Cavaignac. » Mais un autre magistrat de la même contrée, se faisant l’écho d’une tradition différente, les persuadera que Mme B…, étant allée supplier Cavaignac, « bien inutilement

  1. M. Géraud, sans ignorer l’affaire Labarrère, ne connaissait pas les insinuations de Cavaignac.