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Il ne s’agit plus ici d’un arrêté de Pinet, mais des délibérations d’une assemblée locale dont il ne faisait pas partie, et il est bien douteux que son influence sur elle ait pu aller jusqu’à lui faire attester la présence de son collègue, si celui-ci avait été absent.

Encore une fois, cette argumentation n’a nullement pour but d’incriminer Cavaignac, mais de démontrer la faiblesse de sa thèse. Sa modération habituelle, la tenue et la régularité de sa vie, les courageuses démarches de sa femme pour fléchir ses persécuteurs pendant la Restauration, enfin le culte de ses fils pour sa mémoire, protestent en sa faveur beaucoup mieux que sa propre défense. Mais, pressé de proclamer son innocence, en 1820 comme en l’an III, il n’a eu ni le temps ni la facilité de choisir ses preuves.

Insuffisant comme justification personnelle, son plaidoyer ne vaut pas mieux lorsqu’il détourne l’accusation sur ses collègues. « Ce n’est pas moi, c’est Pinet, » dit-il, tout comme il dira plus tard : « Ce n’est pas moi, c’est Mallarmé. » Cela s’appelle, en bon français, crier haro sur le baudet. En effet, Mallarmé, à la Restauration, était un des anciens conventionnels les plus mal vus, précisément à cause de sa mission à Verdun. De même Pinet, suspect et emprisonné en l’an III, banni et réfugié à Constance en 1820, eût-il eu tous les moyens de repousser l’accusation (qu’il ne connut sans doute jamais), ne le pouvait ni moralement ni matériellement. Cavaignac était un révolutionnaire timide qui fut toujours du parti des vainqueurs. Pinet était, nous le répétons, un montagnard ; il eut, aux yeux de l’opinion publique pour qui le cadavre d’un ennemi sent toujours bon, le tort d’être un vaincu. Mais l’histoire a des goûts plus délicats : de ce que Pinet fut un démagogue exalté, il ne s’ensuit pas qu’il ait été capable et coupable de crimes « à faire frémir la nature. » Il a vécu jusqu’en 1844, et bien des hommes qui l’ont connu existent encore. Interrogez-les ; ils vous diront que, de toutes les accusations dont on puisse le charger, celle-là est la moins admissible. « Entraîné par un patriotisme exagéré, — nous écrivait naguère le vieil archiviste de Bergerac, — et pour la réussite de ses principes, il a pu faire tomber quelques têtes ; mais qu’il ait commis l’infamie dont on l’accuse, jamais. J’étais déjà un grand garçon lorsqu’il revint d’exil (1830) et j’eus souvent l’occasion de le voir. C’était un homme d’une figure distinguée, très douce ; quoique courbé par l’âge, il était d’une taille un peu au-dessus de la moyenne. On aurait dit de lui, c’est un poète plutôt qu’un bourreau. » De son côté, M. Ch. Géraud, le propre petit-gendre de Pinet, a bien voulu nous fournir sur la vie privée de l’aïeul de sa femme d’intéressantes notes que nous lui demandons la permission de reproduire