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Nous n’avons pas d’ailleurs à nous occuper ici des changements subis par les constitutions municipales pendant la seconde moitié du moyen âge. Pour importantes qu’elles aient été, elles n’ont modifié en rien les caractères essentiels de la ville. Il nous suffit d’avoir montré comment ces caractères se sont peu à peu dégagés, d’avoir essayé de ramener à des causes identiques la formation des institutions urbaines dans les pays situés entre l’Elbe et la Seine. Sans doute, dans ce vaste territoire, on remarque sans peine l’existence de divers types constitutionnels, de diverses familles municipales. Mais, entre ces familles, on peut établir une parenté primitive et prouver que cette parenté est indépendante des races et des frontières linguistiques. Arras, Saint-Omer et Lille appartiennent au même groupe urbain que Gand, Bruges et Ypres. Metz, Toul, Verdun, Liège, Trêves, Maestricht et Utrecht présentent, en dépit de leur population, ici germanique, là romane, des analogies frappantes. En réalité, c’est seulement à partir du xiiie siècle que, par l’action de l’État, les villes allemandes et les villes françaises ont été dirigées dans des voies divergentes. En France, la royauté, qui s’est d’abord montrée favorable aux bourgeoisies, se retourne bientôt contre elles et finit par se les soumettre, comme elle se soumet la noblesse. La puissance de la monarchie, non le plus ou moins d’aptitude des habitants à se gouverner eux-mêmes, a été ici la cause de la disparition des communes. En Allemagne, au contraire, la faiblesse de plus en plus grande du pouvoir central a produit des effets tout opposés. Tandis que les villes françaises tombent sous la tutelle des baillis et des prévôts royaux, les villes allemandes se transforment en petites républiques indépendantes, deviennent des freie Reichstädte. Partie du même point, l’évolution urbaine dans les deux grands États de l’Occident a fini par s’orienter ici et là dans des directions très différentes. Mais les causes de ce phénomène sont externes et en quelque sorte artificielles. Elles ne doivent pas être cherchées dans le caractère des races, mais dans l’histoire de l’État[1].


H. Pirenne.

    l’abandonner après son triomphe. Voyez Giry, loc. cit., p. 68 (texte de Vincent de Beauvais). Gierke, Genossenschaftsrecht, I, p. 324, n. 51. Arnold, Verfassungsgeschichte der deutschen Freistädte, II, p. 301. Pirenne, Dinant, p. 39, etc.

  1. Au moment où j’achève la correction des épreuves de cet article, je reçois un ouvrage que je dois, en terminant, signaler à mes lecteurs : F. Keutgen. Untersuchungen über den Ursprung der deutschen Stadtverfassung (Leipzig, 1895). J’espère pouvoir revenir ailleurs sur ce travail, dont l’auteur se déclare partisan d’une méthode diamétralement opposée à celle qui a été exposée ici. D’après lui, on ne peut étudier l’origine des institutions urbaines qu’en se plaçant à un point de vue national.