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férence primitive des conditions juridiques[1]. On a tort de se figurer qu’à l’origine, à côté des marchands jouissant de la liberté personnelle, les artisans se trouvaient soumis au droit domanial. Il suffit, pour se convaincre de l’inanité de cette théorie, d’observer que les artisans non libres des immunités se maintiennent pendant de longs siècles à côté des artisans libres et qu’il ne peut y avoir par conséquent de filiation entre les uns et les autres. L’argument tiré des prestations auxquelles certains métiers sont soumis vis-à-vis du seigneur, et dans lesquelles on a voulu voir la preuve de la non-liberté de leurs membres à l’époque de la formation des villes, n’a aucune valeur. Ces prestations, en effet, ne sont que d’anciennes redevances publiques payées au seigneur en sa qualité de prince et non en sa qualité de maître. Le rapprochement de la plus ancienne charte de Strasbourg avec la nomenclature des droits dus à l’évêque d’Amiens par les artisans est, à cet égard, tout à fait caractéristique[2]. Il ne peut donc être question de donner à la bourgeoisie une double origine. Artisans et marchands, patriciens et gens de métier, diffèrent les uns des autres par des caractères exclusivement économiques, non par des caractères juridiques. Tous, à l’origine, ont été confondus sous le nom générique de mercatores. Mais, de bonne heure, les premières places ont été prises, la participation au grand commerce s’est restreinte, les patriciens ont formé la gilde, possédé le sol, empli le conseil des leurs, et, de plus en plus nettement, une ploutocratie s’est constituée en face de la masse des petits entrepreneurs et des salariés.

On sait d’ailleurs que le gouvernement aristocratique introduit par les patriciens n’a pas tardé à provoquer, de la part du petit peuple, une révolution violente. Dès la seconde moitié du xiiie siècle, en France tout d’abord, puis en Flandre et en Allemagne, les artisans réclament des institutions de contrôle et une part d’intervention dans les affaires publiques. Comme les mercatores se sont jadis soulevés contre les seigneurs, ils se soulèvent maintenant contre les grands bourgeois et presque partout arrivent à substituer, au gouvernement des lignages, un gouvernement démocratique[3].

  1. Von Below, Ursprung, p. 116.
  2. Walter, Corpus juris germanici, III, § 102 et suiv., p. 795. Monum. de l’hist. du tiers état, I, p. 312, 430. Add. Lefranc, Hist. de Noyon, p. 172.
  3. Beaumanoir, éd. Beugnot, II, p. 266. Pour les premiers mouvements démocratiques, voir les textes rassemblés par Giry, Documents, p. 66 et suiv., sur les révoltes de Beauvais au xiiie siècle. La conduite des seigneurs vis-à-vis du parti populaire a été la même en France, en Allemagne et dans les Pays-Bas. Ils l’ont systématiquement soutenu dans sa lutte contre le patriciat, quitte à