C’est ainsi qu’il s’est constitué de bonne heure un patriciat urbain, une classe de cives optimo jure, de majores. Ces majores ont à la fois la puissance économique et la puissance politique. Par la gilde, où seuls désormais ils ont entrée, ils dominent le commerce local. Ils jouissent en partie de privilèges considérables. Tous les sièges du conseil ou de l’échevinage leur appartiennent et sont en fait héréditaires dans leurs familles[1]. Organisés en lignages, habitant des maisons fortifiées[2], distingués par des prédicats honorifiques, apparentés à la petite noblesse, ils sont et ils se nomment avec raison « seigneurs de la ville. »
Au-dessous du patriciat, on rencontre la plebs, les minores, les petits. Ce sont des artisans, « des hommes à ongles bleus[3]. » Il est caractéristique pour la situation sociale des villes à cette époque que les mots major et dives d’une part, minor et pauper de l’autre, sont des termes synonymes[4].
Toutefois, il importe d’établir parmi les artisans une distinction importante et dont il semble qu’on n’ait pas toujours suffisamment tenu compte. Ils se divisent très clairement en deux groupes. Le premier comprend les petits entrepreneurs, forgerons, bouchers, boulangers, etc., vendant eux-mêmes le produit de leur travail et occupant une position intermédiaire entre les grands entrepreneurs et les purs salariés. Ces derniers, de beaucoup les plus nombreux, du moins dans les grandes cités, se recrutent parmi les ouvriers de grande industrie : tisserands, foulons, teinturiers, batteurs de métal, travaillant pour le compte de grands marchands et se rapprochant ainsi d’assez près de la condition des ouvriers modernes. Ils sont tenus à l’écart des fonctions publiques, n’interviennent pas dans le gouvernement de la ville. Leur salaire, soigneusement fixé par les règlements des métiers, ne leur permet guère de s’enrichir et d’entrer dans le patriciat.
Il ne faut pas croire que, comme on l’a dit souvent, la différence des conditions politiques, dans la bourgeoisie, se ramène à une dif-
- ↑ Un des exemples les plus caractéristiques de ce fait est la constitution de l’échevinage de Gand (les XXXIX) à la fin du xiiie siècle. Warnkœnig-Gheldolf, Hist. de Flandre, III, p. 92 et suiv.
- ↑ Gislebert, Chron. Hanon., éd. in-8o, p. 258. Flach, op. cit., II, p. 289, n. 1.
- ↑ Warnkœnig-Gheldolf, op. cit., II, p. 510.
- ↑ Hegel, Lateinische Wörter und deutsche Begriffe. Neues Archiv, t. XVIII, p. 209 et suiv.
nombre de rentiers. De là les noms de Mussiggänger et de Lediggänger, qu’on applique souvent à ses membres en Allemagne et en Flandre. À Noyon, on trouve dans le même sens le mot : huiseux (otiosi). Lefranc, Noyon, p. 175.