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ployer ici cette expression moderne, le nouveau programme politique était incompatible avec certains principes que l’Église ne devait pas abandonner[1]. Pouvait-elle renoncer, en effet, à ses tribunaux[2], à ses immunités, à son droit d’asile, à ses privilèges juridiques et financiers ? En outre, il faut reconnaître qu’elle était peu sympathique à la vie commerciale et qu’elle confondait volontiers sous le nom d’usure ces opérations de crédit auxquelles le marchand recourait habituellement dans la pratique des affaires. Ainsi, dans les villes épiscopales, les conflits étaient inévitables. On connaît trop l’histoire tragique de la commune de Cambrai pour qu’il faille la rappeler ici. Elle montre que, même sous d’excellents évêques, il fut impossible de résoudre autrement que par la violence la grande question qui s’agitait alors. Et ce qui s’est passé à Cambrai n’est pas, on le sait, un fait isolé. On constate des événements analogues dans la plupart des cités du nord de la France et de l’Allemagne rhénane. D’ailleurs, si nous parcourons la littérature du temps, nous y trouvons plus d’une fois l’expression des sentiments que nourrissait le clergé à l’égard des bourgeoisies. Il ne faut pas voir dans les virulentes invectives que lance contre elles Guibert de Nogent la manifestation violente d’une opinion individuelle. Un grand nombre de ses contemporains pensent comme lui. Lambert de Hersfeld se montre plein de mépris pour ces commerçants qui, élevés dans les délices des villes, dépensent leurs gains en fêtes et en banquets[3]. Ives de Chartres est animé de tendances semblables[4]. Enfin, au commencement du xiiie siècle, Jacques de Vitry prêche encore contre les violente et pestifere communitates[5].

Quoi qu’il en soit, d’ailleurs, au cours du xiie siècle, les villes triomphent partout. Il en a été du droit urbain comme du droit féodal. Les efforts tentés pour arrêter leur développement ont échoué, parce qu’ils répondaient, l’un comme l’autre, à des nécessités inéluc-

  1. Consuetudines civitatis sive turbulenta conjuratio factae communionis nihil praejudicant legibus ecclesiasticis. Lettre 77 d’Yves de Chartres, citée par Labande, Beauvais, p. 55, n. 6.
  2. On sait à combien de conflits ont donné lieu les officialités et la juridiction synodale. Les villes ont fini, au cours du xiie et du xiiie siècle, par échapper plus ou moins complètement à cette dernière. Giry, Saint-Omer, p. 372. Warnkœnig-Gheldolf, Hist. de Flandre, III, p. 231. Gengler, Stadtrechte, p. 303.
  3. Lambert de Hersfeld, Annales. Mon. Germ. Hist., édit. in-8o, p. 151.
  4. Lettre 263 d’Yves de Chartres, citée par Bréquigny, préface du t. XI des Ordonnances des rois de France, p. xiii.
  5. Giry, Documents, p. 58 et suiv. On trouve la même hostilité dans le clergé anglais que dans les clergés allemand et français. Voy. Hegel, op. cit., I, p. 73.