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Cet exemple montre que ce n’est pas seulement dans les villes épiscopales que le droit urbain a triomphé par la force. Pourtant, on peut dire que, presque toujours, les villes laïques présentent un développement plus pacifique que les villes épiscopales[1]. Et cela se comprend aisément. Tout d’abord, les princes séculiers ne résidaient pas dans les villes. La plus grande partie de l’année se passait pour eux à parcourir leurs terres. Ils vivaient loin de la bourgeoisie, et par là même les causes de conflits se trouvaient singulièrement diminuées. Il en était tout autrement des princes ecclésiastiques. Ceux-ci, fixés à demeure dans leurs cités, résidant au milieu de la bourgeoisie, étaient continuellement exposés à entrer en lutte avec elle.

D’autre part, tandis que les princes féodaux ne semblent pas avoir eu de doctrines arrêtées en matière politique, les ecclésiastiques, formés par la lecture des livres saints, se faisaient un certain idéal de gouvernement et d’organisation sociale. Burchard de Worms, par exemple, s’inspire évidemment de préceptes religieux dans la législation qu’il donne à ses sujets[2]. On sait, du reste, que pendant longtemps l’administration des princes d’Église a été excellente. Plus doux, plus humains, plus cultivés que les laïques, ils ont traité leurs familiae avec plus de bonté et plus d’intelligence. Au xe et au xie siècle, la plupart des membres du haut clergé ne se sont pas moins illustrés par leurs talents politiques que par leur science et leurs vertus. Mais, par là même qu’ils se faisaient de leur mission une idée plus haute et qu’ils accomplissaient leur tâche avec plus de sérieux et plus de dévouement, les évêques devaient tenir davantage au système d’administration qu’ils avaient créé et le défendre avec d’autant plus d’énergie, le jour où les bourgeois prétendraient s’en affranchir. Sans doute, leur attitude ne semble avoir été ni hautaine ni intransigeante. Des réformes furent accomplies, des adoucissements apportés à la rigueur du droit domanial[3]. Mais, s’il est permis d’em-

    les marchands qui ont donné le signal du soulèvement. Galbert, op. cit., p. 88. Il en est de même à Tournai au xie siècle. Vita S. Macharii. AA. SS. Boll, Avril, I, p. 875.

  1. Hegel, Städte und Gilden, II, p. 56.
  2. Leges Burchardi (Walter, Corpus juris germanici, III, p. 775 et suiv.), §§ 12, 19, 23, 31.
  3. Ceci est vrai surtout pour l’Allemagne, mais beaucoup d’évêques français méritent le même éloge. Tous ne ressemblaient pas à l’évêque batailleur et débauché de Laon, dont Guibert de Nogent nous a laissé un si vivant portrait. L’évêque Roger de Beauvais (m. en 1022) est loué dans son épitaphe d’avoir mis fin à la tyrannie du comte et d’avoir aboli le cens dû aux voyers : Libertas patriae pulso comitis dominatu, atque viatorum demisso, gaudia censu. Labande, Beauvais, p. 39.